vendredi 18 juillet 2014

Johnny Winter hauts les cris (Libération)

J'avais trouvé cet article sur le site du journal Libération avant d'apprendre la nouvelle du décès de Johnny Winter... Dans certaines de ses réponses, il ne croyait pas si bien dire... (NDW)

Le fougueux guitariste texan, présent ce lundi au Cahors Blues Festival, est à l’honneur d’une anthologie en 4 CD.



Quand Jack Torrance entre dans la chambre 237 de l’hôtel Overlook, dans Shining, il y voit une jeune femme qui devient, après un baiser, une vieille femme. Taper «Johnny Winter» dans Google Images propose la même expérience : du fougueux albinos de 1969 au papy au torse flasque couvert de tatouages, quarante-cinq ans de concerts, de solos et de hurlements se sont glissés sans prévenir, d’une photo l’autre. Un demi-siècle de blues et de rock à picorer dans une anthologie de quatre disques sortis en début d’année pour les 70 ans du bonhomme. Et dont on pourra aussi faire l’expérience in concreto, dans une forme de pèlerinage, ce lundi soir au Cahors Blues Festival, où le squelettique Winter se produit pour une unique date française. Un jour de frette pour le meilleur et pour le pire, selon la forme du moment.



Pour le profane, le connaisseur, le lambda ou le pas encore né, Johnny Winter est avant tout une incongruité, une somme hors norme : un Texan albinos joueur de blues, acclamé par les Noirs, adulé par les Blancs, qui a sorti son premier disque à 15 ans et a réuni les influences du Nord chicagoan électrique et du Sud delta acoustique au tournant des années 70, avec des cheveux jaunes filasses, un chapeau sur la tête et une Firebird Gibson autour du cou. Autant dire une légende, qui a aussi bien su créer un style musical qu’une image de rocker foufou, et dont le livret des CD rappelle l’importance à longueur de citations, de Pete Townshend (Who) à Eddie Van Halen en passant par Carlos Santana ou Dan Aykroyd. Plus proche de nous, Norbert Krief, guitariste et cofondateur de Trust, résume «son» Winter : «C’est une voix, chaleureuse, rauque et puissante. Et puis, évidemment, un grand guitariste. Avec un style unique : personne ne sonne comme lui, aussi bien au niveau du chant que du jeu de guitare.»

Parfum électrique. Autre singularité : peu d’artistes, morts ou vivants, ont aussi bien synthétisé le parfum électrique de l’époque. Entre 1968 et 1973, le natif de Beaumont a vécu plusieurs vies et a tout traversé : les clubs de New York à 20 spectateurs, l’adoubement public par Mike Bloomfield un soir de novembre 1968 («Ce gars est le meilleur des putains de meilleurs joueurs !») - ce qui le fait jammer le lendemain avec Hendrix -, la scène de Woodstock, divers albums majeurs, dont plusieurs la même année, des stades bourrés à craquer, l’héroïne, trois ans d’absence dont neuf mois de désintoxication à La Nouvelle-Orléans, puis le retour, Alive and Well. Sur les quatre CD de l’anthologie, deux sont consacrés aux années 1969-1970, avec deux inédits, le troisième couvre la période 1973-1977 et le dernier 1978-2011.

Dans le milieu ultraconservateur du blues, qui tourne depuis Pythagore et l’invention de la corde autour de 12 mesures, 5 notes, 3 accords et une fausse fin, Winter n’est pas un révolutionnaire : il ne recherche pas le changement mais une certaine essence du genre à capter dans l’énergie, y compris sur des tempos lents. Les chansons ne s’assoupissent jamais, ne s’assouplissent pas plus : elles fusent et frappent, sûres de leur force, leur interprète étant de toute évidence mandaté par les dieux de la guitare.


Johnny Winter dans les années 70. Photo Urve Kuusik. Sony Music Archives
Ce que Winter apporte est si calibré et personnel que sa griffe est immédiatement reconnaissable. Sur le bavardage, déjà. Un soliste est avant tout quelqu’un qui parle, et Winter a beaucoup de choses à dire, une logorrhée de notes embarquées à bonne allure dans des voyages autour du manche, avec certains passages obligés, certaines phrases qu’il faut aligner comme autant de visas pour continuer la route. Il y a des plans spécial Winter, joués, retournés, essorés, relavés, portés depuis quarante ans, par lui puis par d’autres. Sur le copinage, Winter propose en live des doubles solos : pendant qu’il joue sur un des pans, son deuxième guitariste officie sur l’autre, et voilà l’auditoire embarqué dans une expérience de double pénétration auditive criarde et parfois douloureuse pour les tympans. Sur le timbre, Norbert Krief reprend : «J’ai découvert Winter au tout début, en 1968, et ce qui m’a touché d’abord, c’est la voix. Hormis ses cris, c’est son style de chant. Un ovni. Dans le live Johnny Winter And de 1971, juste avant Johnny B. Goode, il pousse un hurlement et envoie une version fabuleuse.»

Aveugle. Depuis quelques mois, le Texan fait aussi l’objet d’une curiosité qui circule dans les festivals américains : un documentaire à sa gloire, Johnny Winter : Down & Dirty, réalisé par Greg Olliver, qui avait déjà osé le très bon Lemmy, sur la vie du bassiste-chanteur de Motörhead, Lemmy Kilmister, et qui se spécialise donc dans l’éthologie des dinosaures du rock. Sans date de sortie, le film n’est pas encore téléchargeable, mais la bande-annonce disponible sur le Net montre la légende presque aveugle et la main tremblante, tourmentée, dans son éternel quotidien de camping-car, de coulisses éclairées au néon et de séances d’autographes. Sur le site du Nashville Film Festival, Olliver explique : «Winter est un personnage si humain, en plus d’être une figure du blues. Son histoire mérite d’être montrée. J’ai adoré la raconter.»

Avec une anthologie, des tournées, un documentaire et un album à la rentrée, l’année semble propice à un coup commercial en forme de résurrection, comme si le business se rappelait soudain l’existence de l’aigle albinos aux serres parachevées d’onglets. Dans une interview où il évoque sa grande période seventies, Winter raconte : «La façon dont les gens me traitaient alors était bizarre. Etre idolâtré n’est pas drôle.» Tout comme la silhouette affaissée d’un vieil homme qu’on porte vers une chaise devant un public.

Guillaume TION

Johnny WinterTrue to the Blues (Sony Music), anthologie 1968-2011 en quatre disques.

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Johnny Winter: «La référence blues ultime ? Ça me va.»

Entretien chronométré avec la légende.

Johnny Winter, 70 ans, a un style rapide et flamboyant. C’est de manière rapide et flamboyante qu’il a répondu, fin juin par téléphone, à nos dix-sept questions, en cinq minutes et dix secondes.



Vous avez 70 ans et Sony sort une anthologie de votre carrière…
Exact.

Vous considérez ça comme un hommage, un aboutissement ou une couronne mortuaire ? (silence prolongé)
Vous m’entendez ?

Je ne vous entends pas.

Laissez tomber. Vous êtes toujours sur la route. D’ici à la fin de l’année vous avez 60 dates prévues. C’est pas un quotidien ennuyeux ?

Oui, c’est un peu dur. Mais j’aime ça.

Vous avez une tonalité préférée ?
Non, toutes les tonalités me vont.

On peut vous considérer comme le Muddy Waters du XXIe siècle…
C’est gentil…

… ça vous fait quoi d’être la référence blues ultime ?
Je trouve ça bien, ça me va.

Vous jouez toujours «Good Morning Little School Girl» ?

Oui, à chaque concert. On fait grosso modo toujours le même set.

Vous avez un morceau auquel vous êtes particulièrement attaché ?

Non, j’aime tout ce que je joue.

Vous jouez toujours avec des onglets ?
Oui, toujours.

Vous êtes pessimiste sur le futur du blues et de la guitare ?
Non, ça va, ça vient. On disait déjà ça dans les années 50, mais on est toujours là.

Vous vous rappelez Woodstock
?
Oh oui, très bien.

C’était comment ?
Nuageux et boueux.

Et vous vous rappelez le concert donné à Fargo hier soir ?

Bien sûr.

C’était comment ?

C’était super ! Vraiment bien.

Bourbon ou scotch ?
Bourbon.

Delta ou Chicago blues ?

Ça n’a pas d’importance.

Vous allez sortir un nouvel album ?

Oui, le 2 septembre.

Quels guitaristes écoutez-vous ?
J’aime beaucoup Dereck Trucks, vraiment.

Lundi, vous jouez en France. Vous voulez dire quelque chose au public français ?
Oui : quoi qu’il arrive, prenez du bon temps.

Guillaume TION

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