L'artiste camerounais Manu Dibango, à Dakar, en décembre 2010. | AFP/SEYLLOU DIALLO |
« Grand-père » (quatre petits-enfants) a repris du saxo à l'Olympia, mardi 4 mars. Manu Dibango mesure le temps qui le sépare de son enfance en revenant à ses premiers émois musicaux, quand, enfant, il chantait dans la chorale du temple de Douala.
En préliminaire, il faudra donc suivre Manu le Camerounais sur les pentes d'un protestantisme presque anachronique – il invite la Chorale Espérance Dipita en première partie, puis en scène avec lui pour un thème dédié à ses parents disparus, Sango Yesus Christus.
MANU DIBANGO N'EST PAS UN HOMME RÉVOLTÉ
Ce chœur d'hommes distribue des « alléluias », et, bien que fondé à Paris en 2002, nous gratifie d'un chant patriotique dédié à la jeunesse camerounaise digne de l'euphorie des années 1960, quand tout espoir était permis pour l'Afrique indépendante.
Manu Dibango n'est pas un homme révolté. C'est un marieur. Il a cherché à cerner un panafricanisme qui lui semblait vital pour l'Afrique, l'a trouvé en vivant en France, en partant aux Etats-Unis ; il l'a regardé depuis le Congo, perdu en rentrant s'installer au Cameroun. Il n'a jamais été pauvre. Son père, fonctionnaire, l'avait envoyé faire des études en France.
Il s'est bien sûr enrichi, d'abord parce qu'il a écrit en 1972 un tube planétaire, Soul Makossa, dont le refrain « Ma-mako, ma-ma-sa, mako-mako ssa » demeure l'objet des attentions artistiques – Michael Jackson l'avait copié sans autorisation en 1983 pour Wanna Be Startin' Something (dans Thriller), en 2007, Rihanna meublait son Don't Stop the Music de quelques emprunts « makossa » (les deux cas ont été conclus par des arrangements financiers à l'amiable).
A l'Olympia, dès son entrée en scène, Manu Dibango impose l'effacement de la nostalgie au profit d'un univers de musiciens, avec son toujours excellent Soul Makossa Gang, où les meilleurs (Paul Simon, Sting) sont allés par le passé recruter pour leurs propres besoins.
HOMME DE LA MONDIALISATION
Manu Dibango et son groupe (basse, guitares, flûtes, saxophones, claviers, batterie, percussions, deux choristes) donnent à l'Olympia une leçon de styles. Lui est l'homme de la mondialisation, l'un des créateurs de la world music dans son versant disco des années 1970. Au saxophone, il organise avec fluidité la traversée du monde noir.
Il joue comme à ses débuts, très bal africain, dans l'orchestre de Joseph Kabasélé, dit le Grand Kallé, as de la rumba congolaise, qui avait intégré Dibango dans son orchestre, l'African Jazz, à l'aube des indépendances. Puis il se glisse dans la biguine ou le reggae, cite Charlie Parker, rend hommage à Sydney Bechet, Maurice Chevalier ou Henri Salvador.
Le groupe est jazz, jazz-rock, puis mambo à la cubaine, « guitar hero » échevelé, percussionnistes à la timbale, salsero du Spanish Harlem. En ruptures constantes.
D'une voix grave, ferme, le géant africain – crâne lisse, lunettes noires, chemise brodée, sourire éclatant – chante, presque au ralenti. Les chocs musicaux imposés par le Gang, la vélocité du saxophoniste Dibango s'apaisent dans une heureuse superposition d'affects. Dehors, une trentaine de jeunes gens de la Chorale Espérance Dipita organisent une photo de groupe devant les néons rouges de l'Olympia, salle reine du music-hall parisien.
Par Véronique Mortaigne Le Monde le 5 mars 2014
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