jeudi 18 janvier 2018

Wyclef, le carnaval et la contestation (L'Humanité)

Wyclef Jean
Wyclef Jean


Wyclef Jean, des Fugees, revient en force avec un disque flamboyant, Carnival III. Sans mascarade, ni langue de bois. Rencontre.

Auréolé de distinctions, disques de platine et autres récompenses, producteur discographique pour les plus grands (Santana, Shakira…), cheville ouvrière des Fugees, musicien complet, Wyclef Jean revient avec le très réussi Carnival III. Rencontre avec un artiste émouvant par son humilité et sa force de conviction.

Fara C. L'Humanité, le 13 octobre 2017
  

Pourquoi avoir attendu dix ans pour conclure, avec Carnival III , votre trilogie ?

Wyclef Jean La musique est un don, une source de bonheur, mais elle acquiert sa dimension la plus puissante quand elle endosse un rôle social. Il y a, dans l’histoire des peuples, des moments où la situation requiert plus que de la musique et des mots : des actions. C’est ce que j’avais en tête, en décidant de me présenter à l’élection présidentielle d’Haïti en 2010. J’en ai parlé avec Harry Belafonte, un de mes mentors. En outre, j’ai eu l’honneur de rencontrer Nelson Mandela à plusieurs reprises et de parler en tête à tête avec lui. Je lui ai demandé conseil. Je savais que ma candidature aux élections d’Haïti poserait des problèmes. Ses paroles sont toujours d’un immense enseignement.

Une huitaine de mois avant les élections, le séisme à Haïti a illustré l’adage selon lequel le malheur des uns fait le bonheur des autres. De grosses sociétés ont débarqué, effectué des constructions et sont parties. J’ai vu des hélicoptères américains lancer des sacs alimentaires au peuple haïtien comme à des animaux. J’ai voulu réagir. C’est difficile. Depuis des siècles, tout a été mis en place pour que l’ensemble des Caraïbes soit la cour de récréation des puissants.

Le sous-titre de votre disque, The Fall and the Rise of a Refugee (« La chute et l’ascension d’un réfugié »), semble faire référence à votre échec à la présidentielle. Comment avez-vous vécu cette épreuve ?

Wyclef Jean La question n’est pas de tomber, mais de se relever et de continuer à agir. Je n’oublie pas les leçons de mes aînés. Je savais qu’on m’attendrait au tournant. On a essayé de tout me faire perdre, en alléguant que j’aurais piqué 17 millions de dollars dans les caisses de ma fondation, Yele Haiti, créée en 2005 pour réunir des fonds en soutien à Haïti. Comme par hasard, les accusations sont advenues peu après le séisme et avant l’élection.

À l’époque, un article d’Olivier Cachin a témoigné de votre engagement auprès de la population dès le lendemain du séisme. Il a rappelé qu’un audit avait montré qu’aucune somme n’avait été détournée et que la seule erreur de Yele avait été de n’avoir pas établi correctement ses bilans. Comment cette affaire vous a-t-elle touché ?

Wyclef Jean Bien sûr, ça fait mal. Mais j’ai reçu un soutien énorme de la part de la population comme de personnalités. La différence, c’est que, aujourd’hui, nous avons appris du passé, nous connaissons les méthodes utilisées. John Edgar Hoover, qui a monté le FBI, a infiltré les Black Panthers selon un scénario pervers : magouiller pour monter contre toi ton propre camp, tes amis, ta famille, en inventant des histoires d’adultère, de trahison, etc.

Harry Belafonte m’a dit, un jour, que Marcus Garvey, James Brown et de nombreux Noirs activistes, comme les Black Panthers, ont été des cobayes des méthodes du FBI, consistant à fabriquer une brèche, l’infiltrer jusqu’à l’implosion de l’individu ou du groupe visé. Cette technique de l’infiltration, nous la connaissons. Nous devons être vigilants, sans rien céder à notre idéal. Trump peut balancer insultes et menaces, ça ne marche pas. Des sportifs ont posé un genou à terre durant l’hymne américain. Au Global Citizen Festival, Stevie Wonder a posé, non pas un, mais deux genoux au sol. Nous enjoignons à Trump de nous respecter. Nous aussi sommes les États-Unis. Nous sommes de plus en plus nombreux à déclarer, comme LeBron James, champion de la NBA : « Trump n’est pas notre président. » Marcus Garvey, Martin Luther King, Malcolm X, Gandhi, Nelson Mandela et bien d’autres se sont battus pour nos frères noirs, mais aussi pour tout le peuple américain, pour les peuples de tous les pays.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR FARA C., L'HUMANITÉ, Le 13 OCTOBRE, 2017

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