La mort d’un ami et le retour de l’amour ont donné un tour nouveau à la vie du chanteur brestois. Et à ses envies « de terrain », de petites salles chaleureuses.
Sobre depuis une demi-douzaine d’années, Christophe Miossec n’en fréquente pas moins Le Cannibale et L’Assassin, bars voisins du deux-pièces parisien qu’il loue depuis quelques mois, à deux pas du métro Couronnes. Comme si le chanteur brestois s’amusait de ces restes canailles de Ménilmuche dans un quartier brassant Orient, Afrique, Asie et soupçons de bourgeoisie bohème. « Je me sens un parfait touriste, étranger parmi les étrangers », remarque en souriant celui qui, il y a moins d’un an, vivait encore dans sa belle maison blanche, en bord de falaise, dominant la mer d’Iroise. « Les avantages de cette position ? Regarder et écouter. »
Reflets tziganes et accordéon
Comme en écho à ce déménagement dans la capitale, son nouvel album, Mammifères, résonne d’une instrumentation fleurant plus le pavé parisien que les troquets rock de
la rade de Brest. Rarement croisés jusque-là dans la discographie du Breton, violon aux reflets tziganes et accordéon dominent les chansons de ce dixième opus. Le jeune quinqua à la gueule de vieux loup de mer n’en coiffe pas pour autant la casquette de poulbot. Suggestives mais fuyant les clichés, ces nouvelles compositions nourrissent d’émotions davantage que de pittoresque ce bijou de tendresse mélancolique, en prise avec les soubresauts de la vie.
« Après le bonheur », titre extrait de l’album « Mammifères »
Après vingt ans de carrière, la mise en route d’un nouvel enregistrement présuppose souvent l’intellectualisation d’un projet, le choix réfléchi d’une esthétique. Célébré dès son premier album, Boire (1995), pour avoir insufflé une dimension rugueuse et charnelle qui manquait cruellement à la chanson française, Christophe Miossec s’est façonné un répertoire, à la fois fidèle à une écriture et évoluant au gré de partis pris de production – l’âpreté de l’album Baiser (1997) ; la fantaisie de Brûle (2001) ; l’ampleur orchestrale de 1964 (2004) ; les distorsions de Chansons ordinaires (2011) ; l’épure délicate d’Ici-bas, ici même (2014)…
« Cette fois, je me suis laissé guider par les événements », reconnaît Miossec. Un destin musical précipité par une disparition qui débouchera sur une rencontre décisive. Un jour de mai 2015, le cœur de son ami Rémy Kolpa Kopoul, journaliste, animateur radio et DJ d’un encyclopédisme festif, cède. Ce pilier de Libération, puis de Radio Nova, séjournait justement chez le chanteur à Brest. « Deux jours plus tard, on m’a proposé de participer à une soirée en hommage à Rémy, au Jamel Comedy Club, où il avait l’habitude de présenter chaque semaine des showcases de musiciens. » Ce soir-là, Christophe Miossec y croise Mirabelle Gilis, violoniste qui, la semaine précédente, participait aux sessions organisées par celui que l’on surnommait « RKK ».
Le coup de foudre entre le chanteur et la musicienne ne fut pas que musical, et leur rencontre produisit rapidement autant de notes que d’étincelles. Ancienne élève du conservatoire de Toulouse et de Saint-Pétersbourg, dont la pratique du violon (et de la mandoline) s’est enrichie au gré de voyages buissonniers (Turquie, Italie, Espagne, Londres…) et de multiples collaborations, Mirabelle Gilis est ainsi rejointe par le Brestois, alors qu’elle répète dans la cave de l’Hôtel des Chansonniers, à Ménilmontant, avec ses complices, le guitariste américain Leander Lyons et l’accordéoniste vosgien Johann Riche. « J’ai commencé à me joindre à leurs improvisations, raconte Miossec. Après trois journées intenses, cela commençait à prendre et j’avais des compositions. »
Le chanteur vient à peine de terminer la tournée de cent dates, avec grand ensemble, de son précédent album. Mais la nouvelle rencontre est si stimulante que le quatuor décide de se produire immédiatement en concerts dans de petits lieux, volontiers inattendus (clubs, guinguettes, mais aussi chapelle, vignoble, sans oublier le Musée maritime de La Rochelle ou les jardins de la cathédrale du Mans…). Happé par ce plaisir bohème, Miossec dit avoir retrouvé « l’essence de ce boulot » dans la légèreté de la formation et ces concerts « à l’arrache ».
Une envie de revenir sur le terrain dictée aussi par le contexte et le traumatisme post-Bataclan. « Vu ce qui s’est passé, assure-t-il, je ne me voyais plus sur scène avec des barrières de sécurité, un gros son et des jeux de lumière. Il fallait se tenir chaud, chercher la proximité. » Une approche que le quatuor a prolongée lors de l’enregistrement de Mammifères, piloté par Antoine Gaillet, dans l’environnement certes confortable du studio La Fabrique, à Saint-Rémy-de-Provence, mais d’abord voué à saisir la chaleureuse complicité des musiciens.
Accueilli pour la première fois chez une major du disque – le label Columbia, appartenant à Sony –, après vingt ans de production par l’indépendant PIAS, Miossec a continué de creuser le sillon épuré de son précédent album, Ici-bas, ici même, en termes d’arrangements comme de textes. « J’avais envie de faire le plus simple possible, qu’il n’y ait plus d’adjectifs. Je ne veux pas d’effet de manches, de phrase remarquable. J’aimerais arriver à ce que ma parole ne donne pas l’impression de passer par l’écrit », insiste celui dont la plume a été empruntée, depuis la fin des années 1990, par une belle diversité d’interprètes – de Juliette Gréco à Nolwenn Leroy, en passant par Jane Birkin et Johnny Hallyday (pour lequel il a écrit une douzaine de chansons, dont les récents De l’amour et Mon cœur qui bat).
S’ils se gardent d’évidences littérales, les textes de Miossec savent depuis longtemps mettre les mains dans le cambouis de la réalité. Qu’elle soit sociale, autobiographique ou bouleversée par les attentats. « Tu te retrouves avec une responsabilité après des événements pareils, tu ne peux pas en faire abstraction », murmure pudiquement l’ancien journaliste de presse quotidienne régionale d’une voix douce et rocailleuse. « Après, comment retranscrire un sujet aussi frigorifiant ? » Comment ? Sans doute en refusant la résignation (On y va) et en faisant affleurer délicatement ces thèmes dans des chansons comme L’Innocence, Après le bonheur ou La vie vole. Pour demeurer ainsi une des personnalités les plus importantes et attachantes de la chanson française.
« Mammifères », de Miossec, 1 CD Columbia/Sony (sortie le 27 mai). Concerts : Le 27 mai au Flow, à Paris (complet) ; le 3 juin au festival Les Petites Folies, à Lampaul-Plouarzel ; le 18 juin au festival Rio Loco !, à Toulouse ; le 17 juillet aux Francofolies de La Rochelle ; le 22 au festival Le Grand Souk, à La Jemaye (Dordogne) ; et le 5 août au festival Le chien à plumes, à Langres (Haute-Marne). www.christophemiossec.com
Stéphane Davet, Le Monde le 23 mai 2016
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