Sains et posés. Ce sont les mots qui viennent à l’esprit pour évoquer les frères Duplantier, fondateurs du groupe Gojira. Des mots qui s’accordent pourtant mal avec la musique dont ils sont devenus les ambassadeurs en France, le death metal, une des franges extrêmes du hard rock. Vingt ans après leurs débuts et six albums plus tard – dont le dernier, Magma, paraît vendredi 17 juin –, le quatuor, originaire des Landes, est l’une des rares formations metal ou rock hexagonales à connaître un succès international. Les quatre ferrailleurs emmenés par Joe (39 ans, guitare, voix) et Mario Duplantier (34 ans, batterie) se produisent dans les plus grands festivals metal du monde, lorsqu’ils ne tournent pas avec les géants Metallica et Slayer. Le magazine américain Metal Hammer, bible du rock tendance lourde, les a récemment désignés groupe de metal le plus important au monde. Mais Gojira garde la tête froide.
Gojira - Stranded
La sortie de l’album « Magma » coïncide avec la 11e édition du Hellfest, où vous serez à l’affiche dimanche 19 juin. Vous êtes des habitués du lieu où vous avez déjà joué quatre fois. Que représente ce festival pour vous ?
Mario Duplantier : On a été invité sur les premières éditions du Furyfest en 2003, qui est l’ancêtre du Hellfest. Déjà à l’époque, la qualité du festival, son potentiel et son esprit nous avaient séduits. Maintenant que nous sommes amenés à jouer dans des festivals en Europe et aux Etats-Unis, on porte beaucoup d’attention au caractère de ces événements, s’ils ont de l’âme. Et c’est le cas du Hellfest, qui est devenu un événement d’envergure internationale.
Joe Duplantier : Dès le départ, nous avions en commun avec ce festival une certaine ambition. Programmer les plus grands groupes au fin fond de la campagne française, il fallait oser ! Qui plus est dans un pays qui n’est pas forcément rock, comparé à la Scandinavie ou l’Allemagne.
« Magma » marque une nouvelle étape musicale pour le groupe, par sa dimension moins épique et des morceaux courts, mais aussi un chant moins « hurlé »…
J. D. : On voulait se faire plaisir avec des morceaux qu’on a envie de scander, entendre la réaction du public chanter à l’unisson. Cela reste du metal, mais il y a un peu plus d’éléments rock, voire pop, sur certains titres. Sur nos précédents albums, on était tout le temps dans cette énergie ultra épique et sombre. On avait besoin d’en sortir un peu.
M. D. : On est arrivé à un âge où on a envie de dédier notre vie à autre chose qu’à la musique extrême, être en phase avec notre maturité, nos désirs. On n’est pas sûr de vouloir faire du « death » jusqu’à 45 ans, même si nous en sommes encore de grands fans. Mais on aime aussi Led Zeppelin, les Beatles, Radiohead, James Blake… Cet album va nous suivre au quotidien sur la route pendant deux ans et demi. Magma reflète notre état d’esprit aujourd’hui.
La formation est restée stable depuis vos débuts, voilà près de vingt ans, une situation plutôt rare dans ce milieu…
J. D. : Il y a des groupes avec des frères qui n’arrêtent pas de s’engueuler, mais ce n’est pas notre truc. Avec les deux autres membres [le guitariste Christian Andreu et le bassiste Jean-Michel Labadie], on parle beaucoup, il n’y a rien qui gangrène. On n’est pas non plus dans les excès. Un des éléments qui explique aussi notre longévité, c’est que le groupe marche. Nous n’avons pas été propulsés en tête d’affiche du jour au lendemain : c’est une progression lente, mais assez agréable à vivre. Il y a quand même une perspective d’avenir. A un moment, on était dans une situation financière très difficile, maintenant elle est juste difficile. Mais on vit quand même de notre art.
Gojira - Silvera
Gojira est un groupe connu pour ses sensibilités écologiques et spirituelles, développées notamment sur l’album « L’Enfant Sauvage » (2012). Votre identité va à contre-courant de l’esprit du death metal, porté sur des sujets morbides…
M. D. : Nous avons grandi dans une ferme dans le sud-ouest, près de Bayonne. Nous étions le seul groupe du genre de la région. La puissance de cette musique nous a toujours fascinés, même son aspect le plus sombre. Joe est arrivé de son côté avec des textes plus lumineux. On s’est rendu compte qu’il n’était pas incompatible de mélanger cette puissance avec des textes inspirés par notre environnement, par le mystère de la nature, de l’homme ou de la psychologie…
J. D. : Sur notre premier album, il y avait un morceau qui s’appelait Love, et dont le thème était la force de l’amour. Lorsque j’ai proposé ce titre aux autres membres du groupe, ils étaient dubitatifs. Mais les réactions auprès du public ont été très positives. Je savais qu’on était sur la bonne voie, et j’ai commencé à parler de mes croyances personnelles en la réincarnation, l’existence de l’âme…
Le death metal est un genre dont l’approche instrumentale, très technique, est méconnue du grand public. Certaines de vos compositions, appuyées sur les syncopes et les contretemps, se rapprochent davantage de la musique classique que du rock…
M. D. : C’est une évidence. Joe et moi, nous avons été initiés très tôt au classique. Dans la famille, il y avait un amour et une compréhension pour cette musique. Il y a un lien très fort entre le metal et la musique classique, par le côté solennel, grave, mais aussi l’attention portée sur des sujets existentialistes, la vie et la mort. La pop est plus portée sur les sentiments.
J. D. : C’est aussi ce qui fait la différence entre le rock et le metal. Le metal est plus enraciné dans le classique, alors que le rock vient plutôt du blues.
M. D. : En tant que musiciens, le metal, c’est aussi beaucoup de rigueur. Rien n’est dû au hasard dans le metal, c’est de la dentelle. Nous avons bossé tous les quatre comme des fous pour pouvoir tout mettre en place. Après chaque concert, on analyse religieusement, dans le bus, notre show, qui est filmé. Un peu comme une équipe de football. C’est le meilleur moyen de se perfectionner.
Franck Colombani, Le Monde le 16.06.2016
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