lundi 28 décembre 2015

Carlos Nuñez : « La celtitude est une sorte d’espéranto de l’Atlantique » (Le Monde)


Carlos Nuñes à Rio au Brésil en 2009.
L’Espagnol Carlos Nuñes est né en 1971, la même année que le Festival interceltique de Lorient (FIL), dont la 46e édition se tient du 7 au 16 août. Ce virtuose de la gaïta, la cornemuse du nord de l’Espagne, y a joué pour la première fois en 1984. Il avait 13 ans. Le Galicien a depuis contribué sans faillir à la construction de l’« interceltisme ». Cette idée d’universalité a été lancée par le cofondateur du FIL, Jean-Pierre Pichard, qui débuta comme penn-sonneur (chef d’orchestre du bagad) de la Kevrenn de Rennes.

En 2007, le « pape de la celtitude », selon Carlos Nuñes, a passé la main à un nouveau directeur, Lisandro Lombardia, un Asturien. « Ce qui montre l’ouverture d’esprit de la Bretagne », ajoute le musicien, qui a multiplié les rendez-vous croisés, avec le flamenco, l’Irlande, l’arabo-andalou… Il jouera le 13 août à Lorient, avec l’Orchestre symphonique de Bretagne.

Cela fait six ans que l’on ne vous avait pas vu au FIL, dont vous êtes un fidèle. Pourquoi ?


J’étais occupé à parcourir le monde, et particulièrement les Etats-Unis. J’y avais effectué ma première tournée il y a vingt ans, en 1995, dans la suite de The Long Black Veil, le disque des Chieftains, auquel j’avais participé – une célébration de la musique irlandaise, où figuraient Sting, Sinead O’Connor, Ry Cooder, les Rolling Stones…

Je les avais accompagnés pour la célébration du cinquantième anniversaire de Roger Daltrey, des Who, au Carnegie Hall de New York en 1994. C’était « martien » ! Il y avait Alice Cooper, étonné de voir des instruments comme la gaïta, mais c’était « chaque Indien dans sa tribu ». Le rock était contraire à toutes les valeurs apprises dans les musiques traditionnelles. A l’époque, les Etats-Unis, tournés vers leurs racines irlandaises, n’étaient pas prêts à l’interceltisme.

Qu’est-ce que l’interceltisme ?


C’est un message né en Bretagne et qui est devenu universel. Il a créé un imaginaire celte. On parle de cette musique depuis des siècles, mais la Bretagne a inventé le concept du genre, où plusieurs pays se nourrissent du même imaginaire. L’interceltisme est un sentiment. Les instruments de la famille de la cornemuse assurent un lien, et la celtitude serait comme un espéranto de l’Atlantique. Tout viendrait de la péninsule Ibérique.

On dit souvent que la « pipe music » est née dans l’île de Skye en Ecosse. Mais la cornemuse vient du sud de l’Europe, elle serait arrivée du nord-ouest de l’Espagne jusqu’en Ecosse et en Irlande par le fameux « couloir atlantique », où la navigation s’est organisée depuis des siècles et des siècles. Il y a toujours eu, chez les Celtes, qui n’ont rien de germanique – ils sont anglo-saxons – une fascination pour ceux qui viennent des contrées chaudes. Cela figure dans toutes les légendes, dans le Lebor Gabála Erenn[le livre des conquêtes irlandais, recueil de textes médiévaux, datant du VIIIe siècle]. Les moines irlandais parlaient des Celtes venus du Sud.

Cette histoire s’est-elle répercutée en Galice ?

Longtemps, la Galice n’a pas eu d’existence réelle. C’était un territoire qui englobait la Lusitanie, de l’Estrémadure jusqu’à Porto, les Asturies, etc. L’Espagne n’a pas joué sur cet imaginaire, lui préférant l’exotisme de la Méditerranée, l’orientalisme. L’Espagne donne le sel et le piment.

En 1999, j’ai souligné dans l’album Os amores libres les affinités de la musique celte et de la gaïta avec le flamenco, en invitant Paco de Lucía, Vicente Amigo, Carmen Linares, ou Tomatito. La farruca, par exemple, est une danse andalouse d’origine galicienne. L’harmonie et la rythmique viennent de la guitare, tandis que le nord de l’Espagne est mélodique et modal.

Vous revenez au FIL, cela signifie-t-il que votre mission américaine est accomplie ?


Elle est en route. Les Européens avaient l’obsession du rêve américain. L’Espagne rêvait de Miami et des Latinos des Etats-Unis. Et voilà que les Etats-Unis ont aujourd’hui un rêve européen, comme si ici, tout était vrai, la nourriture, l’amour, qu’on ne peut pas acheter avec l’argent.

Ce qui attire dans cette musique celte, c’est sa capacité à rassembler, un Cubain, un Mexicain, un Brésilien, un Breton, un Andalou, parce que les connexions musicales sont innombrables.

DANIELA DACORSO Le  Monde du 6 août 2015

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