vendredi 4 décembre 2015

Paco de Lucía, béatification d'un guitariste (Libération)


Paco de Lucia




Le magnétisme de l'artiste espagnol, disparu en 2014, et de superbes images d'archives sauvent un documentaire hagiographique conçu par sa famille. 





Réalisé par le fils de Paco de Lucía, produit et écrit par ses filles, le documentaire consacré au génie de la guitare flamenco a pour principal défaut de mettre bout à bout de lassantes louanges de l’artiste. Et d’éviter soigneusement tout aspect un tant soit peu polémique. On évoque le père, Antonio Sánchez, mais sans préciser qu’il a élevé ses trois fils, Ramón, Francisco (dit Paco) et José, comme des bêtes à concours, faisant passer la musique avant tout le reste, dans son obsession de vivre à travers eux la carrière dont lui-même avait rêvé. Le nom de Lucía est à peine cité, alors qu’on aimerait en savoir un peu plus sur la mère portugaise de Paco, qui a inspiré son nom d’artiste.

Pas un mot non plus sur sa relation conflictuelle avec le monde gitan, qui reprochait à ce non-gitan d’être devenu riche et célèbre avec une musique qui ne lui appartenait pas. L’accusation est injuste, mais la querelle, exacerbée au moment des obsèques du chanteur Camarón de la Isla, avait profondément blessé le guitariste. Et l’aurait décidé à quitter l’Espagne pour s’installer au Mexique.

Pattes d’eph’ et rouflaquettes


Consensuel, le film propose un récit strictement chronologique et alterne sans imagination témoignages et éloges répétitifs sur le ton «il était vraiment le meilleur», archives filmées et photos de l’album familial. Si l’ensemble reste regardable, et à certains moments enthousiasmant, c’est grâce à la qualité des images réunies, notamment les émissions de télé des années 60 et 70. S’y dessine une image de la culture pop espagnole, nourrie de flamenco, avec des codes qui aujourd’hui prêtent à sourire : rouflaquettes et longs cheveux ondulés, pattes d’éph' et cols pelle à tarte. Mais surtout une musique «gypsy pop» qui forme la bande sonore de la fin du franquisme et de la transition vers la démocratie (1975-1978). La rumba Entre Dos Aguas, qui fit entrer le flamenco dans les discothèques, en est le symbole.

Profondément ancré dans la tradition, Paco de Lucía fut aussi un musicien audacieux et visionnaire. Il est passionnant de l’entendre raconter comment, faisant fi des reproches des puristes, dont son propre père, il fit appel à Dolores, un groupe de jazz-rock de Barcelone, pour l’accompagner, et lancer une révolution esthétique qui permit au flamenco de conquérir la planète.

Dans ses confidences, filmées quelques mois avant sa mort inattendue (à 66 ans, en 2014), Paco de Lucía fait preuve de modestie et d’un vrai talent de conteur. Mieux que ça : quasi-sosie de David «Kung-Fu» Carradine, il impose une présence magnétique forte, et très cinématographique. Dernière raison pour aller voir le film : convaincre enfin ses fans français que Paco n’était pas italien, et qu’il n’y a donc aucune raison de l’appeler «de Lutchia».


François-Xavier Gomez , Libération le 29 octobre 2015

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