dimanche 6 septembre 2015

Mano Solo La flamme et la force de l’insoumission dans « un monde à la con » (L'Humanité)



La scène était son jardin d’éden, où il pouvait exprimer l’urgence de la colère et de l’amour, respirer, chanter la résistance et la dure réalité... Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010. Il avait 46 ans. Derrière l’homme, se dévoile une œuvre exigeante et profonde. Le temps a fait son travail et donne à voir une poésie d’une subtilité rare. Loin des clichés médiatiques.



« Tant que quelqu’un écoutera ma voix, je serai vivant dans votre monde à la con! » À l’aune des âges, le titre de Mano Solo, « Je suis venu vous voir », paru en 1997, prend des accents prophétiques. Cinq ans après son décès, Emmanuel Cabut campe au panthéon de la chanson française. La cruauté des faits prend une charge dramatique supplémentaire avec le décès de son père, le dessinateur Cabu, mort en janvier dernier, quasiment cinq ans jour pour jour après son fils. « Il a anticipé son départ », témoigne aujourd’hui Napo Romero. Elles sont loin et enterrées, les scories médiatiques. Celles ramenant toujours à la maladie et à la mort, celles qui assiègent la pensée et réduisent l’existence. En un mot, la liberté, dont Mano Solo s’était fait le porte-drapeau rugueux mais toujours droit. En 2004, « Libération », qui goûtait peu son nouveau disque « les Animals », osait, sous la plume de Ludovic Perrin: « Mano Solo a tellement annoncé sa mort que sa survie a aujourd’hui quelque chose de banal. » Mano Solo avait le sida, comme Cendrars un bras en moins et Rimbaud une jambe manquante. Aujourd’hui, ses textes parlent comme jamais et dévoilent un espoir viscéral. Ses excès, ses coups de gueule résonnent désormais comme autant de mises en garde et traduisent l’impatience virile de l’homme qui sait.

« La vie est un combat sur l’adversité. On n’est pas là pour autre chose que pour construire. Construire, c’est se battre », disait-il en 1994 à « l’Humanité Dimanche». Né en 1963 à Châlons-sur-Marne (Marne), Mano se construit en opposition et dans les marges. En dépit d’un pedigree des plus respectables ou enviables, il est le fils de Cabu et d’Isabelle Monin, militante écologiste et journaliste.

UNE ŒUVRE COLOSSALE


« Je suis un petit bourge qui a mal tourné à force de vouloir fuir ses origines », confiait-il encore à l ’« HD».

De son passé, il n’a jamais gardé mystère: les squats, la drogue. Des violences infligées à soi-même pour supporter celle d’une société en roue libre. Le sens de la provocation aiguisé, il fut l’un des premiers à arborer le crâne rasé et à accompagner les balbutiements de la scène punk parisienne à la fin des années 1970.

Antifasciste viscéral, il n’hésite pas à faire le coup de poing et restera toute sa vie engagé contre l’extrême droite.

Sa planche de salut fut la peinture.


À l’instar de Gainsbourg, l’appel de la chanson fera sa renommée. « La Marmaille nue », son premier disque paru en 1993, rencontre le succès. Plus de 100 000 exemplaires seront écoulés.

Le public découvre une poésie crue, sans fioritures, ni posture. « Les Années sombres », son deuxième album, vire à la consécration. Il fait valser ses tourments sous des guitares hispanisantes. Son envie d’ailleurs et son ouverture se traduiront, sur chacun de ses disques, par des sonorités nouvelles. Toujours en avance, il tente d’anticiper la crise du disque, en 2008, en autopubliant « In the Garden », et dresse les contours de ce qu’on nomme aujourd’hui « le financement participatif». Il demeure une œuvre colossale, faite de sept albums en solitaire témoignant d’une cohérence qui force le respect et d’une trajectoire impeccable. Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 et nul doute qu’à la ligne d’arrivée, il nous aura gratifiés d’un bras d’honneur. Car « l’important n’est pas l’issue, mais le combat».

LIONEL DECOTTIGNIES L'Humanité Dimanche le Jeudi, 30 Juillet, 2015


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