En janvier, le jeune musicien américain a reçu, pour la seconde fois, le grand prix de l’Académie du jazz, consacrant son album "The Imaged Savior Is Far Easier To Paint" meilleur disque 2014.
Fara C. L'Humanité, le 15 février 2015
Un nom à retenir ! Propulsé en une poignée d’années parmi les révélations majeures du jazz, le trompettiste Ambrose Akinmusire vient de se voir accorder le grand prix de l’Académie du jazz, assemblée de spécialistes votant une dizaine de distinctions annuelles et dont Boris Vian fut un membre éminent. Cette récompense lui a été décernée pour The Imagined Savior Is Far Easier To Paint, son deuxième disque paru sur l’historique label Blue Note. Retenu aux États-Unis, il a envoyé une vidéo de remerciements, diffusée en janvier lors de la cérémonie, avec un message inattendu…
Dans la lignée d’Archie Shepp
« Mustapha », « Wolinski », « Cabu »… On voit le musicien, vêtu d’un tee-shirt rouge, improvisant, non pas à la trompette, mais au piano, et brandissant une série de Post-it, dont chacun arbore le nom d’une victime de la tragédie. Bouleversant hommage aux disparus de Charlie Hebdo et du 9 janvier. La solennité du requiem est lacérée, ici, d’accords dissonants, là, d’une incantation stridente. Un cri surgi du cœur.
Président de l’Académie du jazz, François Lacharme, célèbre, chez Ambrose, « cette indéfinissable notion, mélange d’espoir et d’amertume, qu’est la négritude ». Et rajoute : « Il faut saluer sa volonté calme et farouche d’aller au bout de lui-même, armé d’un son de braise toujours prête à s’enflammer. Tout cela fait de ce trompettiste un musicien essentiel du jazz contemporain. » L’Académie du jazz lui avait déjà attribué son grand prix en 2012, pour l’opus When The Heart Emerges Glistening, sorti chez Blue Note. Ce doublé exceptionnel reconnaît le génie d’Akinmusire comme trompettiste, mais aussi comme compositeur et, en quelque sorte, metteur en scène d’une musique portant une réflexion.
« Toute décision et toute action sont politiques, nous confie-t-il, peu avant son concert au festival Sons d’hiver, à la MAC de Créteil, le 13 février. Dans la vidéo que j’ai adressée à l’Académie du jazz, je n’ai pas prononcé un mot, parce que je crois profondément que la musique, l’art parlent. » En ce sens, il appartient, à l’instar de son aîné Archie Shepp, à la lignée des musiciens penseurs. Il a, précisément, instillé son souffle fertile à l’un des plus beaux albums de 2013, I Hear The Sound, d’Archie Shepp, qui y opérait une recréation de son légendaire manifeste discographique Attica Blues (1972). En 2012, Ambrose Akinmusire avait joué au sein de l’Attica Blues Big Band de Shepp, pour des représentations scéniques de I Hear The Sound.
« Cette conscience a été semée et cultivée en moi par ma mère, explique-t-il. Elle m’a sauvé, en m’incitant à étudier, à faire de la musique plutôt que de traîner, à effectuer des jobs d’été dès mon adolescence. Nombre de mes potes de jeunesse n’ont pas eu cette chance. Ils ont fini drogués ou dealers, se sont retrouvés en prison et, pour certains, sont morts. » Dans son dernier disque, des pièces sont dédiées aux grands brûlés de la misère sociale. As We Fight (« Tandis que nous luttons ») cite les personnes afro-américaines victimes, au fil des décennies, de bavures policières – Trayvon Martin, Ousmane Zongo, Amadou Diallo… Pas de parlotte, mais une litanie de noms qui défilent, telle une procession, sur une marche funèbre. Le tempo se contracte, se dilate, se densifie, on sent sourdre la colère, le suspense se déploie, la trompette dispense des jets de lumière. Et l’émotion nous étreint la gorge, sans pathos, mais avec une poignante dignité.
Fara C L'humanité du 15 février 2015
Au festival Jazz à la Défense, au milieu de ces tours et du va et vient de l'esplanade, la Défense était littéralement suspendue à ses notes. Ambrose Akinmusire semblait avoir emporté tout le monde avec lui, ça a été une sensation très soudaine et collective.
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