vendredi 23 mars 2018

Bert Jansch, le bon côté du manche (Libération)

Bert Jansch
Bert Jansch




La réédition des albums solo de l’Ecossais mort en 2011 ravive le souvenir de cet as de la six-cordes et héraut du folk britannique qui influença de nombreux musiciens.








«Beaucoup de musiciens jouent leur blues, mais très peu le vivent réellement. Bert Jansch le vécut dans sa chair.» Oui, il a souffert, et ce fut beau à entendre, semble savourer l’auteur des notes qui accompagnent la réédition des huit premiers albums de Bert Jansch. Qui ca ? «Le Hendrix de la guitare sèche», dixit Neil Young, modèle de plusieurs générations de guitaristes, grand buveur écossais, repenti sur le tard et mort en 2011. Demandez à Graham Coxon (Blur) ou Johnny Marr (The Smiths) la liste de leurs influences, ce sacré Bert arrive toujours en tête.

Né en 1943 à Glasgow, élevé dans la campagne autour d’Edimbourg, les routes seront nombreuses pour ce vieux jeune qui enregistre à 22 ans l’impressionnant Strolling Down the Highway. Son jeu simple d’apparence s’avère très vite un subtil mélange de folk celtique, de blues et de jazz, plus tard orné de sonorités orientales, fruit d’un voyage fumeux au Maroc.

Bert Jansch, c’est d’abord un son dingue à la guitare et un art certain du conteur populaire. Si certains goûtaient peu la voix de Bert Jansch, ses maladresses en contenteraient plus d’un, comme dans l’ornementé A Woman Like You. Côté guitare, soulignons son finger picking à rendre jaloux même les plus virtuoses. Quid, quomodo ? Tout simple : côté main droite, jouer la basse avec le pouce, les mélodies avec les trois autres doigts. Vigoureusement, dans le cas de Jansch. Main gauche, l’Ecossais complique les choses, ajoutant altérations et notes supplémentaires à l’accord. Rendu final consistant, brut, par sophistication discrète. La grande classe.

Le jeune Jimmy Page, fracassé à l’écoute de Jack Orion (1966), repiquera quasiment note par note son arrangement de Blackwaterside. Paul Simon reprendra, lui, sa lecture d’Angie de Davy Graham, erreurs incluses. Bert n’en revenait pas.

Alors, que dire à l’écoute de ces huit premiers albums, parus entre 1965 et 1973, rassemblés par Earth Records ? Si les compositions de Jansch touchent une forme d’universel, d’intemporel parfois, une chanson comme Needle of Death évoque, elle, une mort bien contemporaine, dont Neil Young tirera son Ambulance Blues. S’ils ne connurent pas le succès escompté, ces disques solo constituent le pendant essentiel à la carrière du groupe Pentangle (où Bert Jansch officia) qui, entre 1967 et 1972, connaîtra un succès plus large au cœur du folk revival. Guitariste claquant et délicat à la fois, Bert Jansch s’impose en conteur amusé-ironique hors pair dans A Man I’d Rather Be, ferraille comme un beau diable avec John Renbourn dans Lucky Thirteen, duel de six-cordes à l’amble, piquant et déhanché en diable. Contrairement à certains puristes, on pourra se délecter des trahisons de l’album Nicola (1967) qui fait passer Bert Jansch à l’électrique, l’entoure de cuivres, de cordes pop. Jansch reviendra à l’épure avec Rosemary Lane, enregistré seul dans son salon. Enfin, pour Moonshine (1973), c’est aux côtés de Tony Visconti et d’un casting impeccable (dont une harpe magique dans The January Man) que brille ce testament musical injustement ignoré du grand public.

Matthieu Conquet, Libération, le 8.01.2018


Bert Jansch A Man I’d Rather Be, Part I & II (Earth Records).

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