Archie Shepp |
Lors du captivant Jazz à la Villette, le saxophoniste culte rend un hommage inventif à la mémoire des esclaves.
Rencontre.
Fara C. L'Humanité, le 1er Septembre, 2017
Àl’affiche de Jazz à la Villette, figure un aréopage de saxophonistes aux univers contrastés, Pharoah Sanders (le 1er), Émile Parisien (les 1er et 2), Kenny Garrett (invité, le 3, par Foley, un ancien de Miles Davis comme lui), le flamboyant Jowee Omicil (le 3), le phénoménal Shabaka Hutchings (le 6), le charismatique Akosh S (le 7)… Sans oublier leur aîné, Archie Shepp, qui, au fil des ans, a noué avec la manifestation parisienne un fidèle compagnonnage. Lors de chaque édition, le légendaire saxophoniste présente une création. Après son hommage à Coltrane en 2016, lui qui fond, dans le chaudron de son inventivité, la grande tradition afro-américaine et le feu du free-jazz, revient aux sources, avec « Art Songs & Spirituals », consacré aux spirituals, qu’il a écoutés dès sa tendre enfance.
À la Philharmonie de Paris, l’émérite pianiste, organiste, chanteuse et compositrice afro-américaine Amina Claudine Myers sera à vos côtés. Elle a tourné avec le contestataire Liberation Music Orchestra de Charlie Haden…
Archie Shepp Elle a une vraie connexion avec le gospel, qu’elle pratiquait déjà à l’école dans un groupe. J’ai une immense estime pour Amina Claudine Myers. Il y aura aussi Jason Moran au piano, Hamid Drake à la batterie, Darryl Hall à la contrebasse, Olivier Miconi à la trompette et un chœur gospel de huit membres, dont Jean-Marc Reyno, Julia Sarr, Djany, Marion Rampal. Je débuterai par un duo avec Jason Moran, merveilleux pianiste et intellectuel qui réfléchit sur la vie.
Quel lien rattache le répertoire d’« Art Songs & Spirituals » et les spirituals remontant à l’esclavage ?
Archie Shepp J’adopte la démarche de Duke Ellington : je garde l’appellation spirituals, mais il s’agit plutôt d’art songs, parce qu’écrites par des compositeurs identifiés, et non par des anonymes comme au temps de l’esclavage. Du patrimoine populaire, tout le monde connaît Sometimes I Feel Like a Motherless Child, Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, repris par Louis Armstrong, Paul Robeson, Sam Cooke… L’esclave afro-américain révolutionnaire Nat Turner, qui était prêcheur, a choisi le spiritual Steal Away pour mener une rébellion en août 1831, en Virginie. Ses compagnons et lui ont agi par exaspération, par rage. Car beaucoup de Noirs avaient été tués, lynchés. Il a presque réussi, mais un traître l’a dénoncé. La révolte a débouché sur le massacre de plusieurs dizaines de Blancs et, à la suite d’une répression féroce de très nombreux Noirs. Il a été pendu le 11 novembre 1831. L’éminent intellectuel et militant communiste Herbert Aptheker a écrit une excellente biographie de Nat Turner. J’ai fini mes études universitaires en 1959 et, peu après, j’ai eu la chance d’assister à une conférence d’Herbert Aptheker, dans une école publique fondée à New York par le Parti communiste.
L’extrême droite sévit avec violence, et ouvertement. N’avez-vous pas l’impression que le racisme est réactivé dans ses formes les plus brutales ?
Archie shepp C’est en Virginie, où avait eu lieu la révolte conduite par Nat Turner, que s’est déroulé le drame de Charlottesville, avec un KKK s’affichant avec arrogance. Le racisme est plus que jamais une question de lutte de classes. C’est le fait d’une oligarchie détentrice des richesses, qui se situe dans le sillon des esclavagistes d’alors et qui prolonge cette idéologie. Cette oligarchie soutient Trump. Les frères Koch sont des oligarques dont la fortune est estimée à 40 milliards de dollars. Ils apportent leur soutien à Trump et aux causes de l’extrême droite, ainsi que de la droite en général. Le racisme a toujours été une question de classe, à savoir l’exploitation d’une classe – que ce soit les capitalistes de notre époque ou les esclavagistes de siècles passés – sur la classe des travailleurs, des démunis, des spoliés.
Entretien réalisé par Fara C. L'Humanité, le 1 Septembre, 2017
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