jeudi 5 mars 2015

Miguel Zenon, l’âme latine du jazz (Le Monde)



De passage à Paris au Duc des Lombards, lundi 16 et mardi 17 février, avec son quartet, le saxophoniste alto Miguel Zenon confirme tout le bien que ses neuf albums en leader ont inspiré. A 38 ans, le Portoricain établi à New York est en pleine maturité. Sonorité vive, sinueuse, allègre, maîtrise instrumentale irréprochable, ce compositeur prolifique propose une musique qui sort des sentiers battus. Rompant avec le recours au matériel des standards – à sa lettre comme à ses structures – et puisant dans ses racines, il donne à entendre un jazz chantant à la fois complexe rythmiquement et d’une parfaite fluidité.






Sa musique est servie par des musiciens avec lesquels Miguel Zenon joue de longue date (depuis quinze ans pour le pianiste Luis Perdomo et le contrebassiste Hans Glawischnig – remplacé pour cette tournée par Jorge Roeder –, et dix ans pour le batteur Henry Cole). Autant dire que l’entente entre les intrépides interprètes de ces musiques accidentées a de quoi faire pâlir d’envie bien des formations.

Par ces temps où les questions d’identité sont au premier plan, Miguel Zenon s’est adressé à d’autres Portoricains de New York en leur demandant : « ¿ De Dónde Vienes? » (« D’où viens-tu ? »). Ces entretiens figurent dans son dernier disque Identities are Changeable (« Les identités sont changeantes »), intercalés entre les morceaux interprétés par le quartet, augmenté d’un big band. Lors de ses concerts au Duc des Lombards, Miguel Zenon a interprété plusieurs de ces thèmes : Same Flight, Second Generation Lullaby, First Language…

Musique en quelque sorte pixellisée


Exposés intrigants, longues improvisations où le public se laisse entraîner par cette musique en quelque sorte pixellisée. Elle offre, en effet, le paradoxe de couches mutiples de lignes mélodiques et de rythmes différents, composant une étonnante et dansante image sonore. Le secret réside sans doute dans la volonté qu’a Miguel Zenon d’explorer le folklore musical portoricain avec lequel il a grandi, « composé par des gens qui n’avaient pas nécessairement une formation très poussée », glisse-t-il , avant d’ajouter : « Plus j’en fais usage, plus cela me paraît naturel. » Cette combinaison d’une approche intellectuelle et d’émotions exprimées en toute liberté est précisément ce que Miguel Zenon dit avoir trouvé dans le jazz et qui l’a déterminé à en faire sa musique.

D’emblée, Miguel Zenon a choisi comme instrument le saxophone alto « parce que quelqu’un dans ma famille en possédait un », raconte-t-il. Après une éducation musicale consacrée à la musique classique, entamée à 11 ans à San Juan, la capitale de Porto Rico, l’adolescent commence à jouer de la musique de danse, sans pour autant être encore décidé à faire une carrière de musicien. La rencontre du jazz à travers des amis débouche sur la révélation : Charlie Parker. Près de cinquante ans après la disparition de « Bird », l’impact sur des jeunes musiciens demeure.

Créativité exceptionnelle

Deux ans au Berklee College of Music de Boston, où le pianiste panaméen Danilo Perez le prend sous son aile. Il lui présente d’autres musiciens de jazz latino-américains comme son aîné de neuf ans le saxophoniste ténor David Sanchez, portoricain lui aussi, que Miguel Zenon retrouve lorsqu’il vient s’établir à New York en 1998 et qui lui ouvrira beaucoup de portes.

Contrairement à la manière dont la rencontre entre jazz et musique latine s’est produite dans les années 1950 (Dizzy Gillespie et Chano Pozo, Charlie Parker et Machito) – « C’était deux mondes séparés qui avaient de la curiosité l’un pour l’autre », explique Miguel Zenon –, l’amalgame aujourd’hui est plus intime et plus vaste, englobant d’autres musiques latines que celles de style afro-cubain. Chez lui, aucun hiatus entre ce que sa musique doit au jazz et ce dont elle est redevable à la culture latino-américaine. Avec sa créativité exceptionnelle, c’est ce qui fait de Miguel Zenon l’une des voix les plus originales du jazz d’aujourd’hui.

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