Chanteuse, poète, photographe, écrivain… Rencontre avec
l’icône punk rock qui sera samedi à 22 heures sur la grande scène de la
Fête de l'Humanité pour un concert unique en France.
Votre nouvel album arrive huit ans après Trampin’.
C’est une longue absence. Est-ce à dire que vous avez besoin de temps
avant
de vous lancer dans l’aventure
d’un nouvel enregistrement ?
Patti Smith. Ce n’est pas que j’aie besoin de temps
pour écrire. C’est surtout qu’il me faut de nouvelles expériences pour
que je puisse écrire, en les ayant vécues. J’ai eu aussi d’autres
engagements. J’ai passé plusieurs mois à Paris pour préparer
l’exposition à la Fondation Cartier, qui était très importante pour moi.
J’ai aussi terminé le livre Just Kids que j’ai écrit
dernièrement. Et je me suis également occupée de la promo de mon dernier
album. De manière générale, j’ai besoin de différentes expériences pour
pouvoir écrire de nouvelles chansons et de nouveaux textes. Je ne suis pas vraiment une musicienne, mais une chanteuse.
Je ne m’assois pas pour écrire. J’ai besoin de vivre des choses et de
récolter des sentiments pour les mettre en musique avec mon groupe.
Quel sens donnez-vous au titre
de votre album Banga ?
Patti Smith. Banga est le nom d’un chien dans le Maître et Marguerite,
le roman de Mikhaïl Boulgakov. Il attend pendant plusieurs milliers
d’années à côté du paradis avec son maître qui souhaite parler à
Jésus-Christ. C’est un symbole de fidélité et de patience. C’est une
chanson très simple que j’ai écrite avec un seul accord, une chanson
punk rock qui exprime tous ces vrais sentiments de fidélité et de
patience du chien envers son maître…
Quels sont les thèmes que vous
avez voulu aborder ?
Patti Smith. J’ai écrit cet album qui est beaucoup moins engagé que le précédent, Tramplin’, qui s’adressait à l’administration Bush avec laquelle je n’étais pas du tout d’accord,
concernant notamment l’envoi des soldats en Irak. Un des thèmes abordés
dans cet opus était également Gandhi et la possibilité de fédérer les
hommes autour d’une même cause. Il y a moins d’engagement dans celui-ci
parce que je suis heureuse, je me sens en forme, mes enfants ont grandi.
Je me sens tonique et créative. Banga est un album joyeux qui
parle aussi de fraternité avec les membres du groupe. La vie est un
cadeau. On se rend compte de plus en plus que nous devons respecter
notre santé, l’environnement, nous et la planète, car on risque de
perdre toutes ces bonnes choses si on n’y prend garde.
L’environnement, les questions liées à l’écologie… cela fait partie de vos plus grands sujets d’inquiétude, aujourd’hui ?
Patti Smith. C’est pour moi la chose la plus
importante qui soit. Plus que le politique, plus que tout le reste. J’ai
d’ailleurs, il y a quinze ans, travaillé avec le dalaï-lama. Je lui ai
demandé quelle était, selon lui, la cause pour laquelle les jeunes
devraient s’engager le plus profondément ? Il m’a aussitôt répondu que
ce n’était pas la liberté pour le Tibet ou les Tibétains, c’était
l’environnement, la protection de la planète. Il y a dans mon pays de
plus en plus de maladies, de cancers liés à la pollution, aux produits
chimiques. C’est une bonne chose de se battre, un bon
cheval de bataille que de combattre les industries, les entreprises qui
déversent des produits chimiques dans la nature. Il est essentiel de se
battre pour la préservation de la nature, où il y a beaucoup d’animaux,
d’espèces, en voie de disparition. C’est le combat le plus important
pour moi.
Doit-on voir dans votre combat pour la protection de l’environnement une démarche politique de votre part ?
Patti Smith. Pour moi, cela va bien au-delà du problème politique. C’est une question majeure qui devrait englober toute l’humanité. Nous devrions faire front tous ensemble au-delà des convictions politiques et des gouvernements.
Même si cela demande des compromis, c’est quelque chose de très
important. Si nous ne le faisons pas tout de suite, c’est la nature qui
réglera cela. Nous ne devons pas attendre les catastrophes écologiques
pour mettre tout en œuvre.
Vous adorez la France où vous
venez souvent. Pourriez-vous
vous y installer ?
Patti Smith. J’aime beaucoup la France. J’y ai
beaucoup séjourné. Je me souviens que, jeune, je voulais absolument
venir dans ce pays où il y avait toute une effervescence et une
ébullition artistique. J’aimais la poésie et le cinéma, la nouvelle
vague avec Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Robert Bresson et tout le
travail d’artistes comme Yves Klein, Jean Genêt, Arthur Rimbaud, Jeanne
Moreau, Juliette Gréco, Albert Camus sur lequel je pourrais parler des
heures. J’aime toute la France, mais je connais particulièrement Paris.
J’ai dû économiser avec ma sœur parce que je n’avais pas assez d’argent
pour me payer un billet, la première fois que je suis venue à Paris, en
1969. Je séjournais dans le quartier des Halles, non loin de la maison
d’Édith Piaf. Quand je suis revenue plus tard, le vieux quartier du
Paris idéal n’existait plus car on avait construit le Centre Pompidou.
Vous êtes chanteuse, poète, photographe, écrivain… comment voyez-vous votre rôle d’artiste ?
Patti Smith. Je suis tout simplement quelqu’un qui
travaille. J’aborde toutes ces scènes de la même façon, que ce soit la
littérature, l’écriture de poèmes, la photo, un concert, quand j’écris
une chanson, un livre ou quand je travaille sur des romans policiers.
Pour moi, cela correspond à une vision globale de l’art comme ont pu
l’aborder William Blake, Leonard de Vinci, Michel-Ange ou Andy Warhol
plus récemment. C’est une démarche artistique plus globale. Je n’ai pas
commencé par le rock’n’roll. J’ai d’abord écrit des poèmes vers l’âge de
quatorze ans. J’envisage toutes ces facettes artistiques avec la même
approche en m’inscrivant dedans.
Dans Just Kids,
vous évoquez
la scène culturelle underground de New York dans les
années 1960-70 aux côtés de votre ami le photographe américain Robert
Mapplethorpe. Quelle est la chose
la plus importante que vous avez
voulu dire dans ce livre qui a connu un formidable succès ?
Patti Smith. J’ai écrit ce livre parce que mon ami
Robert me l’a demandé, la veille de son décès, le 8 mars 1989. J’ai
souhaité atteindre directement les lecteurs en présentant toutes les
facettes de Robert, qui était connu du public de façon un peu
controversée, de par le côté pornographique, qui est pour moi aussi un
art. Les gens connaissaient surtout cette facette de lui. Je voulais
donner un aspect global et intense de sa personnalité en parlant de sa
jeunesse et de toute notre histoire de cette époque. Je trouvais
intéressant de parler de la vocation qu’on pouvait avoir de tendre vers
ces milieux artistiques, tout ce que nous ressentions à l’époque. Je
trouvais important de donner cette image de Robert.
Vous avez toujours été une artiste qui s’intéresse à l’état
du monde. Que pensez-vous de la politique menée aujourd’hui par Barack
Obama ?
Patti Smith. Sans représenter forcément mes convictions politiques, Barack Obama est la personne pour laquelle j’ai voté et je revoterai.
Même s’il n’a pas fait tous les changements qu’il aurait été nécessaire
de faire, c’était la personne qui tendait le plus vers ce que
j’espérais. J’attends encore un homme politique qui fasse des
changements draconiens, qui veuille assez oser pour faire une vraie
révolution politique dans mon pays pour atténuer et renverser toutes ces
différences, les injustices entre les riches et les pauvres. Il y a le
problème de l’accès aux médicaments dans le monde. Beaucoup de gens meurent encore de maladies malgré les moyens qu’ont les laboratoires,
qui sont extrêmement riches. Il faudrait que nous nous unissions tous
pour protéger et sauver les gens qui en ont besoin. Nous avons des
moyens à notre disposition pour cela. C’est une question d’argent et
d’économie.
Le seul grand concert que vous allez donner en France sera
celui de la Fête de l’Humanité, le 15 septembre. Quel message avez-vous
vous envie d’adresser aux milliers de gens qui viendront vous voir ?
Patti Smith. Quand on m’a proposé de faire un
festival qui s’appelle « l’Humanité », j’ai répondu : « Qui pourrait
dire non à cela ? » (rires). Tout le monde devrait avoir envie de
participer à un festival qui porte un nom comme celui-ci. Musique, politique… c’est un très beau concept.
J’y vais avec beaucoup de joie. Je veux donner plein de choses pour ce
concert, avec un esprit positif afin de transmettre aux gens ce bonheur
et l’idée de changement, de fraternité, d’engagement. Quand on est unis,
on peut tout faire, tous ensemble. Il est très important d’être
solidaires.
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mardi 11 septembre 2012
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