Magyd Cherfi |
Après son roman Ma part de Gaulois, le chanteur sort Catégorie reine, un album empli d’émotions où il évoque son enfance à Toulouse.
Chanteur, écrivain ? Magyd Cherfi est un peu tout cela. Avec désormais, une attirance de plus en plus forte pour l’écriture : « Dans la musique, j’ai le sentiment d’avoir fait le tour de ce que j’avais à dire », confie-t-il alors qu’il vient juste de sortir un nouvel album solo autoproduit, Catégorie reine (chez LKP/Pias) : « Comme j’aime la scène, j’invente des albums pour trouver des prétextes à me produire. Pour moi, c’est un peu la récré. Je ne suis pas qu’écrivain, je suis cabot ! » (Rires.)
Parolier et chanteur du groupe Zebda, il a toujours entretenu avec la littérature un rapport très fort. Auteur de deux ouvrages (Livret de famille, 2004, et la Trempe, 2007), il a fait paraître cet été un roman, Ma part de Gaulois, qui a été en lice pour le prix Goncourt. Une fierté pour celui qui a grandi dans les quartiers nord de Toulouse, devenu rapidement « le scribe de la cité » : « J’ai été très tôt le mec de la plume, celui qui avait de l’érudition. Bien parler français, c’était être blanc, mécréant, un peu tarlouze, vendu, traître, harki. Adolescent, je rêvais d’être Flaubert et non chanteur de Zebda. Le drame pour quelqu’un qui écrit, c’est de se prendre pour un grand à 14 ans. Du coup, la chanson m’a ramené à la réalité. C’était “commence par écrire des chansonnettes rock, et on verra !”. » (Rires.)
« Le sentiment d’être soi vaut plus que tout »
Dans Catégorie reine, il revient sur les traces de son enfance, avec un regard teinté de tendresse et de mélancolie. Un disque où il met en avant sa part de féminité avec un titre d’ouverture dédié aux « Filles d’en face » : « Très tôt, j’ai assumé une féminité qu’il faut savoir cacher parce que, quand on a que des copains, ça ne le fait pas. Dans ces endroits qu’on appelle les quartiers, on ne peut pas se balader main dans la main avec une fille et réciproquement. Il y a une chape patriarcale, macho, où celui qui s’approche d’une fille risque de se faire péter les dents par un voisin, un frangin, un cousin. » Celle qui le protégeait était sa mère. 1,60 m, 80 kg, et une personnalité énorme : « Tout le temps, elle disait en kabyle : “celui qui touche à mon fils, je lui arrache les couilles !” (Rires.) Elle m’ouvrait les portes et m’envoyait en soutien scolaire chez la sœur Annie, le père Daniel, l’institutrice, l’épicière, sa fille… pour parfaire ma scolarité. Une armada de gens, travailleurs sociaux, curé, sœur du mouvement de l’abbé Pierre, assistante sociale. La République à travers ses réseaux d’éducation. »
Magyd Cherfi raconte tout cela avec émotion, poussé par une obligation d’authenticité, « le sentiment d’être soi vaut plus que tout », dit-il. Une quête personnelle qui le rend plus serein aujourd’hui : « Au fil du succès de Zebda, c’était difficile car, quand on est au sein d’un groupe, on a un devoir de solidarité. Je me suis aggloméré avec les autres. On nous a perçus comme un bloc de militants et on oubliait les nuances. Alors que moi, je rêvais de cette chose improbable, être à la fois un collectif et des individualités. Dans toute cette histoire, je me cachais pour ne pas montrer que j’étais le moins radical. J’étais plus quelqu’un de la littérature qu’un militant. »
Après une série de « one-man-show littéraires » et de lectures musicales mêlant chansons et extraits de ses textes, il s’apprête à partir en tournée en groupe. Sa manière de se faire plaisir et de rattraper le temps perdu : « Aujourd’hui, je me sens totalement gaulois, mais avec une algérianité, une kabylité à laquelle je tiens. Je suis algérien par ça, la tristesse et l’amertume. Et le côté français, c’est le siècle des Lumières, donc l’essentiel ! »
Magyd Cherfi - Ayo
Victor Hache, L'Humanité le 12 Mai, 2017
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