Ouverture en beauté du dixième anniversaire du festival Génériq, qui dure jusqu’à dimanche dans l’Est de la France. Avec une Patti Smith impériale dans la chapelle futuriste édifiée par Le Corbusier à Ronchamp.
Patti Smith l’avoue : elle est obsédée par toutes choses françaises depuis l’enfance, avant même un premier voyage initiatique en 1969. Son choix de jouer dans la chapelle conçue par Le Corbusier sur les hauteurs de Ronchamp, près de Belfort, répond à une logique affirmée depuis des années déjà : investir des lieux sacrés sans nécessairement en endosser les rituels, règles et diktats. Après avoir joué dans des églises anglaises, parisiennes, new-yorkaise ou italiennes, c’est elle qui, dans le cadre itinérant du festival Génériq, a choisi ce lieu, en raison d’une passion qu’elle partage avec Le Corbusier pour l’épure, la pureté. “Une tournée dans des lieux magnifiques et qui ne nous rapporte pas un centime”, s’amuse un proche de l’Américaine en évoquant les sites et salles de le tournée en cours.
Entre une conférence de presse généreuse, drôle et intimiste de Patti Smith en début d’après-midi et ses deux concerts du soir, on reste flâner sur la colline où Le Corbusier a posé sa baleine grise. Le soleil, complice d’une architecture taquine, remplit au gré de ses humeurs les vastes volumes, les vitraux se chargeant de modifier sans répit les lignes élancées de la nef. Des clins d’œil de lumière du jour apparaissent, disparaissent, participent à la magie. Des reflets s’étendent, changent de forme, inscrivant sur les murs quelques messages secrets dans un langage géométrique à déchiffrer.
Quelques heures avant, assise au coin du feu, Patti Smith avait raconté son rapport très graphique aux lieux de prière, ses hésitations adolescentes face aux religions organisées, son rapport très personnel et primitif au spirituel. “J’ai fait plus de photos des arbres qui entourent la chapelle que de la chapelle elle-même” dit-elle, les yeux brillants, au bord des larmes plusieurs fois en évoquant les ombres de plus en plus nombreuses qui l’accompagnent.
Mais malgré le froid et un voyage rocambolesque depuis Detroit, elle est radieuse. Patti Smith est éclairée de l’intérieur ; la chapelle de Ronchamp est illuminée de l’extérieur. Entre elles-deux, les deux concerts (la chapelle n’accueille que 200 veinards à la fois) seront donc une vaste partie de cache-cache entre ombres et lumières. Ombres, quand elle honore ses morts, à travers des lectures ou quelques chansons jouées paisiblement à une ou deux guitares, avec son fils Jackson, un nounours en or. Elle rend ainsi hommage à ses proches disparus, comme son frère, son mari Fred Smith auquel elle envoie un adolescent message de Saint Valentin ou l’éternel amant de jeunesse Robert Mapplethorpe. Elle fête aussi ses pairs disparus, notamment Prince à travers une reprise solennelle et somptueuse de When Doves Cry.
Patti Smith Group ~ Because The NIght
Lumières, surtout, quand elle visite avec l’humilité qu’imposent les lieux son répertoire que le public connaît sur le bout des lèvres. Mais ça n’a rien d’une grande messe sépia, les interventions sont joyeuses et les dialogues cocasses entre mère et fils viennent vite désamorcer tout sens de gravité. Des classiques comme le pourtant pataud People Have The Power, Dancing Barefooot ou surtout Because The Night, sur lequel elle apostrophe tendrement son co-auteur d’alors, Bruce Springsteen, prennent dans ce cadre une ampleur et une résonance implacables.
Le public qui jusqu’ici frissonnait de froid découvre soudain d’autres raisons de trembler. Surtout quand il s’empare, en une chorale gospel même pas suggérée par Patti Smith, du refrain de Because The Night. “L’architecture doit être parachevée par la musique”, disait Le
Corbusier. Mission accomplie.
JD Beauvallet; Les Inrocks le 15.02.2017
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