mardi 7 février 2017

Sidney Bechet, « la lumière et les fatigues du blues » (L'Humanité)



Sons d’hiver rend hommage au clarinettiste saxophoniste créole, avec Archie Shepp et Matt Wilson. Retour sur l’histoire agitée de ce musicien né dans le sillon encore sanguinolent de l’esclavage.


Fara C. L'Humanité, le 20 janvier 2017
  
Dès 1919, Sidney Bechet débarqua en Europe et joua dans l’Hexagone. 2017 sonne le 120e anniversaire de sa naissance. Sons d’hiver, qui fête les cent ans de l’arrivée du jazz en France, rend hommage, le 3 février, au génial Créole – un des premiers jazzmen à gagner une renommée internationale. Le festival du 9-4 (Val-de-Marne)propose un double plateau excitant : l’historique saxophoniste Archie Shepp, précédé du quartet du new-yorkais Matt Wilson (élu batteur de l’année par Down Beat en 2009), qui invitera la merveilleuse clarinettiste Catherine Delaunay.

Paradoxalement, la gloire de Bechet porta ombrage à l’originalité de sa démarche et de son œuvre. Cette peopolisation d’avant l’heure, dont fit l’objet le clarinettiste et défricheur du saxophone soprano, s’attachait davantage aux scories d’un chemin de vie parfois turbulent – deux séjours en prison, mariage en grande pompe à Antibes en 1951… Il fut même reproché au natif de La Nouvelle-Orléans, par quelques apôtres sectaires de l’avant-garde du moment, une musique trop populaire, trop aimable. Des artistes majeurs se sont levés pour lui adresser un juste panégyrique.

En 1981, Archie Shepp le révolutionnaire enregistrait le disque, My Man/Tribute to Sidney Bechet, au Jazz Unité, jazz-club ouvert à la Défense par le producteur pionnier Gérard Terronès et sa fidèle collaboratrice et épouse Odile. L’opus est sorti sur Impro/Marge, le toujours précieux label de Terronès. À la tête de son quintet (Charles McGee, Charles Eubanks, Santi De Briano et John Betsch), Archie Shepp y revisite un fameux standard (My Man) et trois pièces de Bechet, dont une version enivrante, dépassant les treize minutes, de Petite Fleur, un des tubes du héros disparu en 1959. Et il lui dédie sa composition, Blues for Bechet. On retrouve l’art inouï de Shepp pour lancer des ponts entre tradition et innovation.

À la clarinette ou au soprano, il reste toujours un agitateur déchaîné

Sons d’hiver s’est naturellement tourné vers le sémillant maestro (qui aura 80 ans en mai, incroyable !). Ce dernier présentera sa création, Archie Shepp Plays Sidney Bechet, en compagnie d’Olivier Miconi (trompette), Sébastien Llado (trombone), Wayne Dockery (contrebasse), Tom McClung (piano), Steve Mc Craven (batterie) et, en invitée, la chanteuse Marion Rampal. Sidney Bechet a parfois été considéré comme ce que les rappeurs nomment un Bounty (Noir à l’extérieur et Blanc à l’intérieur) ou encore comme le représentant d’une musique trop mainstream. « L’idée de mainstream au sujet de M. Bechet, un des fondateurs de ce qui est appelé jazz, a aussi peu de sens que si elle était appliquée à Mozart ou à Ravel ! s’insurge Archie Shepp. Cette erreur de compréhension découle d’une autre, à savoir que la musique noire devrait s’adapter aux modes successives, et non s’imposer comme une musique intemporelle, universelle, à l’instar de la musique classique européenne. » Et Archie Shepp de rappeler : « Sidney Bechet a vécu à une époque où le racisme et l’injustice étaient omniprésents à l’encontre des personnes de couleur. Trente ans avant sa naissance, les Noirs subissaient la violence de l’esclavage. Dans sa saisissante autobiographie, il dit comment les Créoles français souffraient de la même maltraitance que les Noirs anglophones. »

À la parution de l’anthologie Sidney Bechet, The Quintessence, New York-Glovesville-Chicago 1932-1943 (label Frémeaux), l’exigeant critique Michel Contat écrivait, de sa plume d’or : « Qu’on le préfère à la clarinette ou au soprano, bluesman déchirant ou agitateur déchaîné, on l’entendra ici au faîte de son inspiration, donnant toujours au mot improvisation sa dimension de mystère et de création démiurgique. » Le vertigineux album, Vol pour Sidney (aller), initié par le label Nato et son inventif fondateur Jean Rochard, figure parmi les œuvres les plus novatrices consacrées à Bechet. Le magnifique livret de vingt pages se clôt par une émouvante citation d’Archie Shepp : « Bechet, c’est la lumière et les fatigues du blues. »

Sidney Bechet - Blues My Naughty Sweetie Gives To Me




Hommage à Sidney Bechet, le 3 février à 20 h : Matt Wilson Quartet/Catherine Delaunay et Archie Shepp en formation spéciale, Sons d’hiver, à Créteil, Maison des arts, http://www.sonsdhiver.org.D’Archie Shepp, My Man/Tribute to Sidney Bechet (Impro/Marge).En BD, associée au double CD compilant Bechet de 1938 à 1952, le livre-disques Sidney Bechet (BD Jazz/ www.difymusic.com/bdmusic).

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