mardi 6 octobre 2015

Le Mellotron, tout un orchestre symphonique (Le Monde)



Ses proportions, celles d’un buffet de bonne taille, et son poids d’une cinquantaine à une centaine de kilos, selon les modèles et les améliorations. Le Mellotron recelait l’équivalent d’un orchestre symphonique puisqu’il permettait de reproduire de manière assez exacte des sons de cordes, de vents et de chœurs.

D’où sa présence dans le rock dit « symphonique », puis « progressif », de la fin des années 1960 au milieu des années 1970. Avec, parmi ses utilisateurs, les plus célèbres, Mike Pinder des Moody Blues (qui fit découvrir l’instrument aux Beatles, fin 1966), Tony Banks au sein de Genesis première manière, avec le chanteur Peter Gabriel, Rick Wakeman (Strawbs, Yes), le guitariste Robert Fripp pour son groupe King Crimson, Kerry Minnear de Gentle Giant… Le groupe planant allemand Tangerine Dream l’aura aussi beaucoup utilisé et, dans une moindre mesure, de 1968 à 1970, Richard Wright (1943-2008) au sein de Pink Floyd.

A l’intérieur, un alignement de bandes magnétiques enregistrées par des musiciens de haut niveau, chargés de tenir une note juste, sans variation d’intensité, de pression sur les cordes, de changement dans le souffle, etc.

Sensible

Lorsque l’on joue la touche du clavier, cela libère un mouvement d’entraînement de la bande qui passe sur une tête de lecture. Et fait entendre ladite note et le son choisi. Au mieux durant huit secondes. Une fois cette durée atteinte, on arrive au bout de la bande, qu’un ressort ramène à son point de départ, prête à être rejouée. Quelques boutons permettent des variations du son, la sélection d’une piste plutôt qu’une autre sur la bande (trois pistes par bande en général).

Tout cela étant sensible aux déplacements, aux changements de température, à l’encrassement des têtes de lecture, aux variations de tension électrique, qui ralentissent ou accélèrent le mouvement, certes imperceptiblement, mais de manière suffisamment audible pour que la note perde de sa justesse, à des cassures de bande. Le terme de « cauchemar » reviendra souvent dans les témoignages de musiciens et de techniciens.

Pourtant, à l’époque, il n’y avait pas mieux pour créer des nappes musicales – pas question, en revanche, de partir dans un solo virtuose –, sauf à avoir les moyens d’emmener en tournée ou de faire venir en studio un orchestre symphonique. Le modèle M400 (1970-1986), à trente-cinq touches, avec son coffrage blanc, équipera ainsi de nombreux studios et des dizaines de groupes. Avec son prédécesseur, le M300 (1968-1970), et l’historique Mark II (1964-1967), à deux claviers, il s’en serait écoulé près de 2 000 entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970. Une prouesse pour un instrument si spécifique.

En fait, le Mellotron était une quasi-copie du Chamberlin (1887-1944), que son inventeur, le Californien Harry Chamberlin, avait conçu et développé entre 1946 et 1951. C’est le vendeur de la quelque centaine d’instruments fabriqués au milieu des années 1950 qui fit connaître aux frères Bradley, lors d’un voyage en Angleterre, en 1962, l’instrument et sa technologie.

Un poids lourd fragile

Ceux-ci dirigent alors une entreprise qui a commencé avec des machines à sous et s’est spécialisée dans la fabrication de pièces pour avions Spitfire et de têtes de lecture. Intéressés, ils fondent Streetly Electronics (où travaillera Mike Pinder avant de fonder les Moody Blues) et Mellotronics pour fabriquer et distribuer ce qu’apparemment ils pensent être une nouveauté.

Chamberlin entrera en relation avec eux et, après des négociations compliquées, finira par vendre sa technologie aux Bradley et conservera le droit d’exploiter son propre instrument (environ 700 pièces des différents modèles entre la fin des années 1940 et le début des années 1980).

Aujourd’hui, les pièces et instruments d’origine, des bandes en bon état, peuvent encore être trouvés sur le marché de l’occasion. Plus pour des collectionneurs d’instruments que pour des musiciens. Pourquoi s’encombrer d’un poids lourd fragile quand les sons type Mellotron ont été échantillonnés depuis et tiennent sur une puce électronique. Ce vers quoi se tournent les groupes qui cherchent à renouer avec ces couleurs années 1970, en particulier ceux de la vague néopsyché, ou vers le Mellotron « moderne », le M4000D, avec sa banque de données des sons du MKII et du M400 en tout-numérique, produit dans les années 2000. Plus léger et doté de nouvelles fonctionnalités, mais sans les incertitudes et les accidents de parcours qui ont fait l’histoire de l’original.

Sylvain Siclier, Le Monde du 26 aout 2015



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