mercredi 14 janvier 2015

Slash, montées en glam (Libération)

GRATTE L’ancien guitariste de Guns n’Roses, dont les riffs nineties intoxiquent encore les ados d’aujourd’hui, s’est émancipé de toute nostalgie. Rencontre avec un chapeau claque.

Il est des plaisirs rares dans l’existence, comme celui de manger un sandwich au jambon en déambulant dans le hall du Zénith. Des dizaines de trentenaires s’y adonnent, ce mardi 12 novembre, sur les coups de 19 h 30. Ils achètent des posters avec des têtes de mort, des tee-shirts de 20 à 35 euros pièce. Ils sont heureux. Au loin, le groupe Monster Truck livre une première partie bruyante. Sur cette même scène, dans une poignée de minutes, Slash, 49 ans, guitariste ex-Guns n’ Roses, connu pour son haut-de-forme, ses cheveux fusillis, ses Ray-Ban et ses descentes de gammes, jadis acolyte de Michael Jackson et de Lenny Kravitz, présentera ses riffs chewing-gum sur une panoplie d’instruments Gibson en compagnie du chanteur Myles Kennedy et du groupe The Conspirators.



La dernière fois que Slash s’était produit à Paris, en octobre 2012, il avait terminé sur Paradise City,sol-do-fa,«I want you please take me hooooome», l’hymne no hope du hard californien, dont la première présentation publique date d’octobre 1985. C’était il y a vingt-neuf ans.
Un has-been défait ?

Qui est Slash aujourd’hui ? Une icône du passé, un artiste bankable, un artisan sincère, un has-been défait à chapeau claque, tout et rien à la fois ? Né Saul Hudson le 23 juillet 1965 à Londres, Slash a grandi à Stoke-on-Trent, de «réputation liée à la poterie britannique», selon le Michelin, et situé entre Birmingham et Manchester. A 5 ans, le petit Saul se retrouve en Californie. Ses parents, une costumière qui a (notamment) travaillé pour Bowie et un graphiste qui réalisait des pochettes d’album (notamment) pour Joni Mitchell, se séparent. Sa première guitare lui a été offerte par sa grand-mère et n’avait qu’une corde, mais cela n’a pas empêché Saul d’en jouer toute la journée jusqu’à s’en faire offrir une vraie. Aujourd’hui, Slash possède plus de cent guitares, l’équivalent d’un petit magasin parisien. Elles sont parfois à double manche et l’une d’elle l’attend près de son lit à l’hôtel. Ce sont essentiellement des modèles Les Paul, comme on en distingue un exemplaire rouge dans l’entrebâillement de la porte de sa loge.

Pour faire dans la légende, certains solos majeurs de ce parangon du hard glam ont marqué la sonothèque collective des années 90, et aujourd’hui encore les vendeurs de Pigalle expliquent que leurs samedis après-midis sont plombés de riffs de Slash joués par des grappes d’ados en mal de public : Sweet Child O’Mine, Nightrain, Anastasia. Quand on les écoute, on y trouve moins l’apanage technique d’un guitar hero ayant digéré l’Art de la fugue qu’une science consommée du bend, ce procédé consistant à faire monter la hauteur d’une note sans changer de case, en la soulevant. Tous les gratteux en font, des bends, tout le temps, mais les siens sont souvent étonnants, tout comme ses montées et descentes personnelles.
Les Guns, un boulet, un trésor

En 1992, au sommet de la gloire avec Guns n’Roses, il joue un solo de guitare débranchée devant une église perdue au milieu du désert dans le clip de November Rain. Ses cheveux sont propulsés en arrière par le vent de l’hélico de prises de vue. En 2000, après vingt ans d’excès et une overdose presque fatale, loin des Guns qu’il a quittés quatre ans plus tôt, Slash s’est fait poser un défibrillateur. Si son cœur a un problème de rythme, la machine envoie une décharge, histoire de prévenir. Il a 35 ans.

En 2014, la guitare est branchée, l’église oubliée et le défibrillateur a un réglage des plus lâches car Slash sautille comme un cabri sur la scène du Zénith : il fait des cercles à cloche-pied, ondule des épaules et du bassin, monte sur l’estrade de la batterie, saute. Avec des grattes de 5 kg autour de la tête et un chapeau défiant la gravité. Il a conservé sa série de bracelets et le tee-shirt «Say no to drugs» qu’il portait plus tôt (lire ci-dessous) mais a bazardé son bas de jogging pour un fute en cuir. Dans cet univers de représentation publique et médiatique, ne pas changer de tee-shirt entre la balance et le concert en fait-il un gars plus humain ?

A côté de nous, un spectateur de 19 ans, venu avec son père, sa mère et son frère de 17 ans, qui joue
de la guitare. Une sortie familiale. La mère chantonne. Le père, la quarantaine, n’écoutait pas Guns n’Roses dans sa jeunesse. Là, il bat du pied en cadence.

Guns n’Roses. Guns. Toujours les Guns. Un boulet, un trésor. Et comme par hasard, voilà Rocket Queen, coupée par un solo central d’une dizaine de minutes quand, en album, on entend les halètements d’un Axl Rose copulant. C’est l’enseignement paradoxal du concert : peu à peu, le guitariste s’émancipe de l’archive et du souvenir. En 2011 sa setlist présentait sept chansons de son ancien groupe, six en 2012, cinq aujourd’hui. Slash a même renoncé à son totem scénique personnel : l’interprétation soliste du Parrain de Nino Rota et un clin d’œil à la wah au Voodoo Chile de Hendrix. Un peu comme s’il ôtait le terme hero accolé à guitar.

On entend soudain quelques intentions jazz dans les graves en son crunch, inédites chez lui dans les années 90. Bizarre. L’instrumentiste semble enfin se libérer au fil d’albums «solo», sous son nom propre et non derrière le paravent d’un groupe (Guns n’Roses, Snakepit, Velvet Revolver). Tout beau, tout neuf, sans drogue ni vice en apparence, il est devenu son propre «Jefe», entouré d’un chanteur réglo, d’un groupe efficace même si vieillissant et d’un rythmicien prometteur. Fini les années de dépravation, de vodka au réveil et d’électro-encéphalogrammes plats, comme abondamment décrits dans sa biographie (1). La forme est carrée et les composants en forme. Slash est gentiment moqué dans South Park et a acquis aux Etats-Unis une réputation de gars smart. Son chanteur ne risque pas de quitter la scène sur un coup de tête en laissant en plan un stade bourré de spectateurs. Ils peuvent tenir comme ça encore vingt ans. Enseignement slashien du jour : les groupes jeunes doivent se détruire et les plus mûrs se ressourcer pour produire la même énergie. Ah, voilà Sweet Child O’Mine. Le jeune voisin rugit.
«Putain, mais fallait le dire plus tôt que c’était lui…»

Une demi-heure plus tard, à 22 h 40, derrière le Zénith, au milieu des baraquements des travaux de la Philharmonie. 200 fans attendent la sortie du maître, qui a fini son concert par Paradise City, sol-do-fa,«I want you please take me hooooome», fidèle à ce qui fonctionne depuis vingt-neuf ans. Certains ont apporté leur guitare et en jouent assis sur le bitume. Une femme à moitié nue chante, elle est en train d’attraper une pneumonie mais ne s’en rend pas compte, elle est saoule. Un tee-shirt Rob Zombie passe. Il y a des odeurs d’herbe.

Minuit et quart. Ils ne sont plus que 70 devant la grille. Il fait 7°C. Les fermetures Eclair sont remontées. Une énième voiture sort du parking, une BMW. La vitre teintée se baisse, une main en sort, des bracelets tintent. «C’est lui !» gueule une métisse qui prend une photo. La voiture passe. Quelques personnes courent derrière. Slash mépriserait-il son public pour ne pas s’arrêter ? Mais la sortie des artistes est-elle faite pour s’arrêter ou sortir ? Un gars s’approche de la photographe. Il a un CD et un marqueur dans la main, il lance : «Putain, mais fallait le dire plus tôt que c’était lui… J’arrivais et je lui balançais le CD direct !» Elle : «Ben oui mais…» Lui : «Mais non, merde, c’est chiant !» Elle : «Tu vas voir que ça va encore être de ma faute.»

(1) «Slash, l’Autobiographie», avec Anthony Bozza. Camion blanc, 696 pp., 36 €.

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Slash: «Je ne dirais pas que je suis conservateur, mais quand les choses marchent, j’y suis fidèle»


Entretien backstage, par ailleurs producteur de films d’horreur et amateur de Bach et Wagner?

Adroite de la scène du Zénith, la partie backstage est conçue comme une prison : un puits carré qui sert de cantine, surmonté de deux rangées de balcons menant à des loges. Les murs sont rouges et gris. Aux étages, les portes sont surmontées de pancartes : «Shouting Room» pour la loge de Myles Kennedy, le chanteur, qui mange des légumes un étage plus bas. «El Jefe» pour celle de Slash. Les portes ont une serrure à code : on ne peut pas entrer, ni déranger. Et il faudra veiller à ne pas non plus déranger Slash avec des questions sur Axl Rose, le toujours leader des Guns n’ Roses. Dans la loge, Saul Hudson, bras musculeux, plus petit, plus large que sur les photos, pantalon de jogging gris, tee-shirt «Say no to drugs», béret en tweed grège, lunettes de soleil, assis sur un canapé en skaï.

Vos chansons ont presque toujours la même structure, vous jouez sur les mêmes guitares, vous avez le même chapeau… vous êtes pas hyperconservateur ?

Non, je ne dirais pas que je suis conservateur. Je ne suis pas cupide, et je n’ai pas besoin de beaucoup pour vivre. Mais quand les choses fonctionnent, j’y suis fidèle.

Vous avez produit un film d’horreur, Nothing Left to Fear, avec votre société, la Slasher Company. Vous allez continuer ?

C’est en cours. Et ce second film sera davantage un thriller qu’un film d’horreur. Ça s’appelle… ça s’appelle… Désolé, je suis distrait par la musique. (La première partie fait un gros barouf pendant sa balance, on s’entend à peine.) Ça s’appelle Cut Throats 9. C’est un remake, dans un genre western. Le script est très bon, un peu violent. Neuf criminels sont conduits de la prison au tribunal qui se trouve à des kilomètres, et bien des choses tournent mal.

Vous allez en écrire la musique ?

Je ne sais pas encore quel style de musique accompagnera le film. On peut imaginer de la guitare acoustique, mais ça me semble trop évident. Je vais d’abord écrire des petites choses, et puis on va trouver un compositeur pour orchestrer et produire tout ça. Sur Nothing Left to Fear, j’ai apporté du matériel et on l’a transposé de la guitare à l’orchestre. On peut reproduire ce système. En tout cas je serai étroitement associé à la BO.

Si l’on prend une de vos chansons de 2012, Anastasia, le riff est proche d’un prélude de Bach et il y a un rythme d’habanera qui rappelle Carmen. Vous écoutez du classique ?

Oui, j’ai été élevé dans ce genre d’ambiance musicale. Ma grand-mère était une pianiste classique, mon père aussi jouait pas mal, j’ai étudié des morceaux quand j’étais plus jeune. J’aime particulièrement Beethoven, Wagner, Bach, Lizst et Erik Satie.

Un gars vous a agressé pendant un concert à Milan en 2010 : il vous est tombé sur le dos et vous êtes tombé sur un ampli. Puis vous avez continué à jouer. Cela a changé quelque chose, d’être agressé sur scène ?

Non, ça fait partie du jeu. C’est du rock n’ roll, les merdes arrivent et le show continue. Je dois dire quand même que ma guitare s’est cassée. J’ai dû la changer après la chanson. Mais que vouliez-vous que je fasse ?

Vous auriez pu fuir la scène en hurlant…

Non. (rires)

Si vous deviez enlever deux de ces trois mots : sex, drugs, rock’n’roll ?

Euh… vous ne pouvez pas… Il n’y a aucune raison à celà ! On peut juste enlever drogue.

Dans les années 90, il y avait une crise économique mondiale, aujourd’hui aussi. Vous le percevez ? Vous avez aussi connu des crises ?

Oh oui, mais je ne sais pas si elles avaient vraiment à voir avec les crises économiques. Quoique certaines devaient en découler. Non, mes crises sont plus personnelles. Mais aujourd’hui tout va plutôt très bien… (il se gratte la jambe, ses bracelets tintent).

Quel solo de guitare écouteriez-vous en boucle seul sur une île déserte ?

Oh merde… c’est difficile… Je pense… que… ce serait… le solo de Mick Taylor dans Can’t You Hear Me Knocking, des Stones.

Question pourrie. Vous êtes coincé dans un ascenseur. Vous préférez être avec Ron Thal, Buckethead ou DJ Ashba ?

Qui ?

Ron Thal, Buckethead ou DJ Ashba ?

C’est qui ?

Des guitaristes… [ceux qui ont remplacé Slash au sein de Guns n’ Roses, ndlr]

Ah… je ne connais aucun des trois. Je préfère ne pas être coincé dans l’ascenseur.

Une chanson que vous trouvez nulle et que vous écoutez quand même souvent ?

Celles qui passent à la radio.

Si vous deviez résumer les 90’s en un mot ?

J’ai oublié. (rire) Non, c’est vrai, j’ai oublié…

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