Charles Mingus |
La Great Black Music est bien davantage qu’une expression stylistique. Ce grand mouvement musical n’a cessé de porter en lui les graines de la résistance. On le vérifie aisément avec la précieuse anthologie en 5 CD et en 100 titres, « Jazz Magazine Jazzman – Les grandes voix Jazz, Blues et Soul » (1925-2009), disponible pour seulement 23 euros. Plume émérite du mensuel « Jazz Magazine – Jazzman », Lionel Eskenazi, dont nous vous livrons une interview ci-dessous, a veillé à effectuer une sélection représentative de la démarche de l’historique magazine : éclectisme et exigence musicale, science et conscience.
Saluons son labeur : en réunissant des enregistrements allant de 1925 à 2009, il ne s’est pas contenté, comme cela se fait dans la majorité des compilations existantes, de se limiter à des titres exemptés de droit (car anciens et passés dans le domaine public). Il lui a fallu négocier avec les maisons de disque pour que celles-ci acceptent de céder des morceaux. La sélection traverse, à pas de géants, neuf décennies et une large diversité de styles, de Bessie Smith (« I Ain’t Got Nobody », 1925), pionnière du blues, à la quadragénaire Erykah Badu, égérie d’une soul irriguée de hip-hop et R’n B.
D’Otis Redding à Gregory Porter, de Billie Holiday à Gil Scott Heron...
Fara C. L'Humanité, le 7 avril 2014
Les perles se succèdent, qu’elles aient été enregistrées par des génies insurgés disparus – Otis Redding, Billie Holiday, John Coltrane, James Brown, Nina Simone, Luther Allison, Abbey Lincoln, Gil Scott Heron... – ou par les forces vives de notre époque – l’iconoclaste bassiste, vocaliste et compositrice Me’Shell Ndegeocello, Outcast (fameux tandem de rap, originaire d'Atlanta), le bluesman philosophe Eric Bibb (filleul du mythique artiste Paul Robeson, que poursuivit le maccarthysme), ou encore le nouvel astre du jazz vocal, Gregory Porter (notre photo), et son évocation de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis (« 1960 What? »). À noter, l’exceptionnel duo enregistré en 1969 par le saxophoniste et activiste afro-américain Archie Shepp avec la chanteuse Jeanne Lee, décédée en 2000.
Des conférences-concerts d’une grande originalité
Lionel Eskenazi reprend son bâton de pèlerin, à l’occasion de chacune de ses conférences sur le jazz.
Pour le coffret « Jazz Magazine Jazzman – Les grandes voix Jazz, Blues et Soul », vous avez
Esperanza Spalding |
Lionel Eskenazi : Effectivement, j'ai évité toute classification selon des genres préétablis. Les artistes noirs américains que j’ai retenus chantent avec leur cœur, leur feeling. Leurs points communs : presque tous ont appris à chanter à l'église, et ont souffert de la ségrégation raciale et de la misère. Ils ne se demandaient pas s'ils jouaient du jazz, du blues, de la soul, du rhythm'n' blues, du rock'n' roll ou du funk. Le coffret est classé par ordre chronologique. Les styles cohabitent au sein d'un même CD et d'une même époque. On notera, cependant, que sur le CD 4, consacré aux années 1970, le funk prévaut. C’est assez logique, car il dominait, à cette époque. Une musique fortement revendicative et portée par la célèbre chanson de James Brown, enregistrée en 1968, rapidement devenue un slogan au sein de la population afro-américaine : « Say It Loud, I'm Black and I'm Proud ! ».
Ces dernières se déroulent au Sunside, réputé club de jazz (rue des Lombards, Paris). Elles ont le mérite d’associer de chevronnés musiciens, qui illustrent ou développent son propos. Après sa conférence du dimanche 6 avril, portant sur la contrebasse et conviant le contrebassiste, compositeur et improvisateur Jacques Vidal, explorateur de cet instrument essentiel dans le jazz, Lionel Eskenazi nous donne rendez-vous le dimanche 4 mai, toujours au Sunside : pour un hommage au contrebassiste, compositeur et « homme en colère », Charles Mingus, avec la participation de Jacques Vidal (contrebasse), Pierrick Pédron (saxophone), Daniel Zimmermann (trombone), Xavier Desandre Navarre (percussions) et Isabelle Carpentier (chant). Chaque fois, le Sunside est comble. Ceux qui n’ont pu obtenir une place pour la conférence d’aujourd’hui peuvent réserver pour celle du 4 mai. En attendant, rencontre avec un spécialiste qui entretient la flamme de la passion.
Philippe Anicaux |
L’expérience de la souffrance sociale
Billie Holiday, |
Qu’est-ce qui a guidé votre sélection ?
Lionel Eskenazi : Il fallait inclure les fleurons de la chanson noire américaine, et il y en a beaucoup ! De Louis Armstrong à Gregory Porter, en passant par B.B King, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Nat King Cole, Ray Charles, Chuck Berry, bref, tous ceux que le grand public connaît, mais aussi des surprises avec des artistes moins connus, mais non moins importants, comme Dwight Trible, Jane Lee, Dee Alexander, Bobby Patterson, Marlena Shaw…
Et la place des femmes ?
Lionel Eskenazi : Je souhaitais une parité hommes-femmes. Mais je n'y suis pas parvenu, car, dans la soul, le blues et le funk, ce sont surtout des hommes qui règnent. Toutefois, pour rendre hommage aux artistes féminines, c’est un de leur titre qui introduit chaque disque. Le CD 1 (années 1930-1940) démarre avec Bessie Smith, le CD2 (années 1950) avec Dinah Washington, le CD 3 (années 60) avec Etta James, le CD 4 (années 70) avec Jane Lee et le CD 5 (décennies 1980 à 2000) avec Nina Simone. Je voulais en outre que les instrumentistes majeurs du jazz apparaissent dans cette anthologie à l’effigie du mensuel « Jazz Magazine – Jazzman ». On y trouve, par exemple, John Coltrane, Archie Shepp, Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie, Wes Montgomery, Ben Webster, Wynton Marsalis, Jacques Schwarz-Bart, Roy Hargrove.
L’expérience de la souffrance sociale vécue par les artistes semble, également, constituer un fil rouge…
Lionel Eskenazi : Il suffit de lire certaines biographies ou autobiographies pour savoir que la plupart
Lionel Eskenazi : Il fallait inclure les fleurons de la chanson noire américaine, et il y en a beaucoup ! De Louis Armstrong à Gregory Porter, en passant par B.B King, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Nat King Cole, Ray Charles, Chuck Berry, bref, tous ceux que le grand public connaît, mais aussi des surprises avec des artistes moins connus, mais non moins importants, comme Dwight Trible, Jane Lee, Dee Alexander, Bobby Patterson, Marlena Shaw…
Et la place des femmes ?
Lionel Eskenazi : Je souhaitais une parité hommes-femmes. Mais je n'y suis pas parvenu, car, dans la soul, le blues et le funk, ce sont surtout des hommes qui règnent. Toutefois, pour rendre hommage aux artistes féminines, c’est un de leur titre qui introduit chaque disque. Le CD 1 (années 1930-1940) démarre avec Bessie Smith, le CD2 (années 1950) avec Dinah Washington, le CD 3 (années 60) avec Etta James, le CD 4 (années 70) avec Jane Lee et le CD 5 (décennies 1980 à 2000) avec Nina Simone. Je voulais en outre que les instrumentistes majeurs du jazz apparaissent dans cette anthologie à l’effigie du mensuel « Jazz Magazine – Jazzman ». On y trouve, par exemple, John Coltrane, Archie Shepp, Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie, Wes Montgomery, Ben Webster, Wynton Marsalis, Jacques Schwarz-Bart, Roy Hargrove.
L’expérience de la souffrance sociale vécue par les artistes semble, également, constituer un fil rouge…
Lionel Eskenazi : Il suffit de lire certaines biographies ou autobiographies pour savoir que la plupart
Chet Baker |
Nina Simone nous a
dit sa douleur, sa révolte, quand, jeune fille, elle a été refusée à
une prestigieuse école de musique classique à cause de sa couleur de
peau…
Lionel Eskenazi : Nina Simone, je l'adore, c'est une immense personnalité. Une chanteuse, une pianiste, une compositrice, une artiste engagée, intègre, qui n'a jamais fait de concession. Il n'y a pas grand chose à enlever, dans sa discographie : le niveau est élevé et son talent constant. J'ai opté pour un titre assez funky, « Funkier Than A Mosquito's Tweeter », écrit par la sœur de Tina Turner (Aillene Bullock), et joué en 1974 avec des percussions africaines.
Lionel Eskenazi : Nina Simone, je l'adore, c'est une immense personnalité. Une chanteuse, une pianiste, une compositrice, une artiste engagée, intègre, qui n'a jamais fait de concession. Il n'y a pas grand chose à enlever, dans sa discographie : le niveau est élevé et son talent constant. J'ai opté pour un titre assez funky, « Funkier Than A Mosquito's Tweeter », écrit par la sœur de Tina Turner (Aillene Bullock), et joué en 1974 avec des percussions africaines.
Prince chanté par le soulman Howard Tate
Quelles difficultés avez-vous dû surmonter, pour la conception de l’anthologie ?
Lionel Eskenazi : Le principal défi a été de pouvoir inclure tous les artistes que j'aime. A l'exception de Prince (impossible d’obtenir les droits), j'y suis pratiquement arrivé. Pour Prince, j'ai rusé en intégrant un de ses plus gros tubes, « Kiss », mais interprété le fameux chanteur soul Howard Tate : pour moi, sa version est même supérieure à l'original.
Lionel Eskenazi : Le principal défi a été de pouvoir inclure tous les artistes que j'aime. A l'exception de Prince (impossible d’obtenir les droits), j'y suis pratiquement arrivé. Pour Prince, j'ai rusé en intégrant un de ses plus gros tubes, « Kiss », mais interprété le fameux chanteur soul Howard Tate : pour moi, sa version est même supérieure à l'original.
Partition de Wes Montgomery |
Comment concevez-vous les conférences que vous donnez, au Sunside ?
Lionel Eskenazi : En général, elles ont lieu un dimanche tous les deux mois, au Sunside, où nous présentons un concert thématique avec le contrebassiste Jacques Vidal et un groupe de musiciens. Il s'agit à la fois d'une conférence sur le jazz et d'un concert, dans un esprit ludique et sympathique. Je ne parle jamais plus de dix minutes entre chaque morceau. Nous avons déjà effectué des concerts thématiques sur Carlos Jobim et la bossa nova, le guitariste Wes Montgomery... Pour des raisons pratiques, la prochaine conférence aura lieu, non dans deux mois, mais dimanche 4 mai. Nous honorerons le contrebassiste Charles Mingus. L’aventure continuera la saison prochaine. En novembre, un nouveau coffret « Jazz Magazine – Jazzman » fêtera les 60 ans du journal, fondé en décembre 1954. Il rassemblera la majeure partie des grands du jazz de la fin des années 1950 et du début des années 1960.
Lionel Eskenazi : En général, elles ont lieu un dimanche tous les deux mois, au Sunside, où nous présentons un concert thématique avec le contrebassiste Jacques Vidal et un groupe de musiciens. Il s'agit à la fois d'une conférence sur le jazz et d'un concert, dans un esprit ludique et sympathique. Je ne parle jamais plus de dix minutes entre chaque morceau. Nous avons déjà effectué des concerts thématiques sur Carlos Jobim et la bossa nova, le guitariste Wes Montgomery... Pour des raisons pratiques, la prochaine conférence aura lieu, non dans deux mois, mais dimanche 4 mai. Nous honorerons le contrebassiste Charles Mingus. L’aventure continuera la saison prochaine. En novembre, un nouveau coffret « Jazz Magazine – Jazzman » fêtera les 60 ans du journal, fondé en décembre 1954. Il rassemblera la majeure partie des grands du jazz de la fin des années 1950 et du début des années 1960.
Miles Davis |
INFORMATIONS PRATIQUES :
Jazz Magazine Jazzman – Les grandes voix Jazz, Blues et Soul chez (Wagram), coffret de 5 CD, 23 euros (http://www.jazzmagazine.com/).
Prochaine conférence de Lionel Eskenazi (https://www.facebook.com/people/Lionel-Eskenazi/100000487850168), avec le contrebassiste, compositeur et improvisateur Jacques Vidal (http://www.jacquesvidal.com/) et un groupe de musiciens :
Dimanche 4 mai, au Sunside (http://www.sunset-sunside.com/)
Eva Cortes |
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