Patio d'un hôtel parisien, lundi 12 septembre, 19h. Nous retrouvons Romain Humeau, tout sourire, qui vient nous dire quelques mots sur son nouvel album Mousquetaire #1, qui sortira le 30 septembre.
Bonjour Romain ! On te retrouve avec plaisir pour ton nouvel album, Mousquetaire#1… D’ailleurs, comment le prononces-tu ? Dièse 1 ? Numéro Un ?
Moi je dis « Volume 1 », ou « Dièse Un »… enfin c’est numéro un, en gros, quoi.
L’esthétique a changé sur la pochette, par rapport aux précédents albums… comme à chaque album que tu sors, d’ailleurs. Et on voit ta gueule, pour une fois !
Ça a d’ailleurs manqué de peu pour qu’on ne la voie pas! (Rires)
Oui, parce-que ton précédent album solo, L’éternité de l’instant, on te voyait mais tu regardais un mur, on ne voyait pas ton visage…
Oui et là j’ai failli en mettre une où on ne voyait que ma tonsure ! (Rires). Mais finalement on a choisi plutôt cette photo-là.
Au niveau du tracklisting, il y a beaucoup de chansons en anglais. J’ai l’impression que c’est beaucoup plus décomplexé, de ta part, maintenant, de chanter en anglais ?
Oui, oui ! Il y a pas mal de chansons en anglais, et dans Mousquetaire volume 2, il y en a encore plus. Tu vois, il y a 17 titres sur le volume deux, et je pense qu’il y en aura bien 10 en français et 7 en anglais. Après, « décomplexé »… oui, oui. Parce-que, bon, j’ai pas un accent de dingue et je parle pas bien anglais. Et écrire, bon, c’est pas que c’est plus facile, mais tu prends le temps.
Et puis l’anglais est une langue qui se prête plus à la chanson, aussi…
Exactement. Par honnêteté, je dois dire que quand je chante en anglais, c’est parceque j’avais l’impression d’avoir des chouettes mélodies ; et que ce que j’avais à dire, hé bien en français, ça ne sonnait pas. Et je ne voulais pas faire de l’alambiqué de l’alambiqué… je préférais dire des choses simples en anglais, avec mes capacités qui sont peut-être limitées, en tout cas – c’est sûr – plus réduites qu’en français… mais j’aime bien l’antagonisme que ça créé : avoir des textes un peu « chiadés » en français, et un truc très efficace en anglais.
Oui, ça prend très vite, c’est efficace. Avec ton « Who Set My Head On Fire » sur « Sarragosse », par exemple, on sent bien les influences rock anglo-saxonnes.
C’est clair !
Tu parlais tout à l’heure de Mousquetaire volume 2… je n’avais entendu parler que du 1 !
Oui ! Je comprends que ça puisse dérouter. En fait, j’ai commencé à enregistrer « Mousquetaire » – il n’y avait pas de volume 1 ou 2 – au début de la tournée « Foule Monstre »… en gros, ça fait 4 ans. J’ai directement commencé à enregistrer en décembre 2012. Sauf qu’entre temps, Bernard Lavilliers me demande de lui écrire deux trois-chansons. Il les prend, il me demande de l’aider à faire une autre chanson, je monte à Paris, on branche bien tous les deux, il me demande de réaliser les deux tiers de son album Baron Samedi, PAF! Je me prends trois mois dans la vue… je me réattelle à Mousquetaire, pendant un mois, BOUM ! Après, POF !, Alexandre Plank, de France Culture, m’appelle pour que je fasse l’adaptation littéraire de mon choix en musique. Je choisis Vendredi ou les limbes du Pacifique, j’écris 25 titres. Ça fait l’objet d’une émission, d’un disque sorti il y a un an… Bon, entre tous ces projets, je continue d’écrire des chansons. Donc au départ j’en avais 12 / 13 hein, comme tout le monde. Puis je commence à en avoir 15,20, 22… On joue un peu Vendredi ou les limbes du Pacifique sur scène, puis Bernard Lavilliers m’appelle pour réaliser son album acoustique. Moi ça me branchait ! J’ai rencontré plein de gens, ça m’a mis dans des situations où je sers l’autre. La plupart du temps, que ce soit Eiffel ou mon truc, ce sont mes chansons. Là, non. C’est beaucoup d’humilité. Et je me sens plus fort pour défendre mes chansons aussi, car j’ai aidé les gens à faire les leurs. Et puis, donc, avec tout ce temps passé, je me retrouve avec 30 chansons… À la base, elles devaient sortir le même jour, les 30 chansons. Et puis ça n’a pas été possible techniquement, maison de disques, tout ça… Donc voilà, il y a Mousquetaire #1 qui sort ; et puis, en 2017, pendant la tournée de Mousquetaire, sortira le volume deux.
Là, c’est à 90% fini. Je n’y ai pas touché depuis 2 mois, y a deux trois trucs à chanter, faut que je produise deux trois trucs et basta così. Après, pour moi, le 1 est pas plus ancien que le 2. C’est écrit à la même période… bon, il est peut-être un peu plus taré, le 2. Déjà, 17 titres… et puis, il y a un truc très punk. Pas mal de rap, français, anglais, un instrumental… Fanfare, grand orchestre et tout le bordel ! Ça se barre dans tous les sens. Je veux que ce soit fou, décomplexé… Vivant.
Tu n’arrêtes jamais, en fait.
Non ! (Il rit).
J’ai vu justement le clip de Les mains d’or, de Lavilliers, où on te voit en side-man, avec la guitare.
Oui, c’est sur Accoustique.
Bernard Lavilliers - Les mains d’or
Ça t’a fait quoi, alors, de laisser le micro ?
Ça m’a aidé, c’est plus facile pour moi, parce-que ce ne sont pas mes chansons, tu vois. Et puis je ne fais rien par cynisme. Si je produis Monsieur Bernard Lavilliers, c’est parce-que je l’aime. Voilà. Bien sûr, ça fait vivre ! Mais c’est avant tout pour ça. Sinon, j’accepterais bien d’autres choses, pour du fric… C’est vraiment parce-que, voilà, je trouve ça super. C’est un monstre sacré, Bernard. Un super être humain, avec une belle vision, des superbes chansons… avec de l’humour. Et curieux des autres. Et chez les stars…
… c’est rare ?
Wow, putain… les mecs ils te parlent, ils sont comme ça (il prend la pose, fait la moue et regarde ses biceps, puis éclate de rire).
Pour revenir à Mousquetaire, au niveau des thèmes abordés, c’est finalement assez vaste. Tu passes de petites balades sur Paris, à des choses engagées comme Anna Politkovskaïa… On retrouve les thèmes qui sont chers à Eiffel, finalement.
Oui. Après, le prisme est peut-être un peu plus personnel, plus intimiste. J’ai chanté aussi avec une voix plus d’ « enfant ». Je voulais pas forcer, je ne voulais pas être dans l’affrontement. Mais par contre, les textes sont tendus. Voire même, les plus tendus que j’ai écrit. « Politkovskaïa », je me suis demandé longtemps s’il fallait le mettre ou pas…
Il est marquant en tout cas.
J’avais besoin de le faire, depuis 4 – 5 ans. Une chanson sur cet assassinat-là. Et donc, je l’ai fait, et je l’ai mise.
Pour l’enregistrement, tu as fait comme d’hab, au studio des romanos ?
Oui, c’est tout bête en fait. Si je le fais dans un autre studio, il faut payer ; et du coup, j’ai deux mois d’enregistrement. Pour « Mousquetaire », ça m’a pris 1 an et 2 mois de travail, sur les 4 ans étalés. 12 heure par jour, avec les week-end. 7 jours sur 7, mais dispatchés sur les 4 ans, pour faire ce que je t’ai dit tout à l’heure. Donc un an et deux mois d’enregistrement, ça coûte 3 millions, quoi ! C’est pas le budget ! (rires).
Tu as réalisé l’album avec Nicolas Bonnière, le guitariste d’Eiffel.
Oui, on a tout réalisé à deux. Dans mon studio, un vrai studio : 4 mètres de haut, 120 m²… cabine de mix, cabine de prises qu’on peut séparer… totalement libre.
Tu as fait un chanson Paris… on pensait que tu aurais fait une chanson sur Bordeaux, plutôt !
Ouais. Je voulais faire ma chanson sur Paris. Je ne sais pas combien il y a de chansons qui s’appellent « Paris »… mais je voulais aussi avoir une. C’est un lieu commun. La dernière en date étant celle de Zaz, je crois. Donc je voulais le faire, avec un axe particulier, bien sûr, pour faire le malin (il rit). Donc j’attaque un peu fort ! J’attaque fort, j’attaque fort, et je termine très doucement. Voilà, c’est une chanson d’amour, mais « qui aime bien châtie bien ». C’est un peu cette idée-là. Et avec de l’humour sur Bordeaux, puisque je vis à Bordeaux. Mais je suis pas bordelais, hein !
Romain Humeau - Paris
Ah non ?
Oui, je suis d’Aix-en-Provence ! A partir de 6 – 7 ans, j’ai vécu dans le sud-ouest, dans le Lot et Garonne. Mais c’est marrant, tout le monde pense que je suis Bordelais. Et puis c’est l’image du rock’n’roll, mais je le suis pas du tout ! c’est juste qu’on n’est pas loin de chez mes parents, pas loin de la mer, pas loin de la famille… et puis surtout à Paris, on ne pouvait pas vivre. On a une fille, avec Estelle, donc c’était pas possible, trop petit. Et puis faire un studio ici, laisse tomber. Les coûts sont pas les mêmes.
Et puis, j’ai besoin de pouvoir rien faire. A Paris, tu perds 2 heures en transport… moi, 2 heures, c’est vital. J’en ai besoin, des 2 heures. Je suis un gars de la brousse, à la base. Je suis pas passionné par la « branchitude » non plus, donc bon…
Et la chanson « Saragosse », c’est en lien avec la ville ?
C’est en lien avec un livre, « Le manuscrit trouvé à Saragosse », de Jan Potocki, qui est un des premiers bouquins d’anticipation, écrit si je ne dis pas de conneries à la fin du XIXème – euuh du XVIIIème (c’est bien le XVIIIème, ndlr). Mélange d’érotisme, psychédélisme, cauchemardesque. C’est un type à qui il arrive plein de choses dans le désert, des nymphes, des abîmes, etc.
Ca se ressent justement dans le titre, quand tu sussures le « Saragossssse », assez psyché.
Ouais, ouais ! C’est LA chanson de l’album qui n’a pas un thème réaliste. Je n’aime pas faire de la chanson réaliste ; mais mes thèmes sont réalistes et j’en parle de manière irréaliste. Toujours. Dans Eiffel, on m’a toujours dit « t’es hermétique, on comprend rien à ce que tu dis »… écoute Ferré, mon gars ! C’est compliqué, aussi ! « La mémoire et la mer »… voilà ! Moi ça m’intéresse pas du tout de chanter le pot de fleur, la fleur, telle qu’elle est ! Je veux décrire ce qui s’en dégage.
L’aura.
Oui, exactement ! Ca s’appelle la poésie. Je prétends pas en faire, mais je cherche ça. « Saragosse », c’est un thème pour lequel on est déjà, à la base, dans le surnaturel.
Ca va faire 20 ans que tu es dans la musique. « Oobick & the puck » était sorti en 96… Ca te fait quoi ?
En terme de temps, ça ne me fait pas grand-chose. Je m’en fous un peu ; j’ai l’impression que tout est devant. J’ai l’impression d’avoir rien fait… mais vraiment ! Alors que c’est pas vrai, je n’ai pas rien fait, mais tout ce que j’ai à faire, tout ce que je veux faire… c’est plus important que ce que j’ai fait.
Tu ne regardes pas derrière.
Non. J’ai l’impression d’avoir fait 15% de ce que je veux… c’est pour ça que j’essaye d’accélérer un peu le tempo de début de création, de moins être dans une démarche de monter des projets qui n’arrivent pas à terme. Je mène à terme tous mes projets. « Vendredi ou les limbes du Pacifique », dont personne n’a parlé – 700 disques de vendus, c’est que dalle – c’est aussi important que « A tout moment » (4ème album d’Eiffel et disque d’or en France, ndlr), pour moi. Tout est important. Je suis un grand fan – je le dis à chaque interview – de Damon Albarn… c’est vraiment… il «fait ». C’est un faiseur. C’est sa manière de vivre. C’est ma manière de vivre. C’est pour ça que je ne m’inscris pas dans une forme de notoriété, mais plutôt dans l’intemporel, dans l’inclassable, aussi, peut-être… du moins, je l’espère. Et du coup, dans la longévité. Peut-être dans pas dans le temps (rires), mais dans la longévité.
On sent d’ailleurs bien l’influence d’Albarn sur l’album.
Hé bien tant mieux, tant mieux ! C’est une grande influence pour moi. Comme David Bowie est une grande influence pour lui. C’est la tradition orale. Tout le monde se refile… sa merde ! (il rit).
Et si on regarde un peu dans le rétroviseur, quand même… quelle est la chanson dont tu es le plus fier ?
Hmmm… (il réfléchit). Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a plus d’une. J’en ai… je sais pas, j’en ai 300 à la SACEM, c’est pas rien non plus… et, il y en a quelques unes… (il réfléchit toujours. Petite pause, puis il reprend) J’ai un petit faible, dans ma carrière d’Eiffel, pour « Sombre », « Dispersés », « Milliardaire », « Chanson troué », « A tout moment la rue », voilà, ces chansons-là. Et pour mon bordel (comprendre : ses albums solo), j’ai un faible pour « L’Eternité de l’instant », « Toi », « Sans faire exprès », et « La mort sifflera trois fois ». C’est d’ailleurs la plus violente que j’ai jamais écrite. Je n’en écrirai pas d’autre comme ça, mais j’avais besoin de faire un truc comme ça. Horrible. C’est horrible, nazi, presque… Et, sur cet album, « Mousquetaire », il y en a pas mal dont je suis fier (il rit) ! « Paris », « Something I can’t touch ». Je suis très fier d’avoir fait une chanson totalement en anglais, une chanson d’amour aussi douce, aussi simple. Il y aussi « Politkovskai », « Marjane »… « Struggle inside »… en fait un peu toutes ! (il rit) Je suis très fier de ça. Et puis tu vas voir, dans le « Mousquetaire 2 », quand tu l’écouteras, mes copains avec qui je jouent pour le live m’ont tous dit que la meilleure, c’est « trump track to the blue ». C’est un énorme slow à la Pixies. Le refrain, c’est… abrasif (ses yeux pétillent). C’est vraiment grunge, dans la forme. C’est « j’ouvre, je ferme »… mais, c’est pas rock. C’est un truc très doux, hein. Et c’est une chanson vraiment, foncièrement sexuelle. Sexuelle. Complètement tendre – mais sexuelle. Et tout le monde prend son pied à la jouer. Il y a une autre chanson, « loveless », et une autre, « Quichotte », qui a d’ailleurs un peu donné le titre à l’album, « Mousquetaire ».
Oui, pourquoi « Mousquetaire », au fait ?
Il n’y a pas vraiment de sens, mais il y a un côté un peu « culcul la pralinotte », tu vois (il rit) !
Le cliché du mousquetaire français…
Oui, je me moque de moi-même ! Et « Mousquetaire » aussi parce-que ça ne veut absolument rien dire, de sortir un disque aujourd’hui. Personne ne les achète, c’est complètement abstrait. T’imagines ? Ca devient fou, quoi ! On se demande à quel jeu on joue ! A quoi jouent les maisons de disque !
Tu as l’impression de défendre une cause ?
Ah non, pas moi. Je m’en fous, du disque, moi.
Toi, tu fais de la musique.
Oui. Le disque est en train de crever, mais moi je vais faire de la musique. Donc il y aura bien un support… Digital, à télécharger… il y a du streaming, mais ça marche tellement moins bien que le vinyle, le CD… Il va falloir trouver un nouveau modèle. Mais moi je suis musicien. Et si je suis vivant à 80 berges, hé bien je ferai de la musique à 80 berges. Donc, vous avez encore au moins 35 ans, voir 40 ans à tirer avec Tonton Roro ! (Il rit). Et merde ! (il éclate de rire).
Romain Humeau – Amour
Les musiciens qui t’accompagnent sur la tournée, ce sont des membres de ton entourage ?
Oui, sauf le batteur. C’est marrant parce-que le batteur, c’est un jeune mec de 29 ans, qui a été l’élève de ma mère, en flûte ! Et qui est batteur maintenant. Et rappeur. Un énorme musicien, costaud-costaud.
Toi tu avais commencé par la batterie, d’ailleurs.
Oui, enfin j’avais commencé par le violon mais j’ai fait de la batterie, oui ! Il y a aussi Hugot de Saloche, avec qui j’ai joué sur mon album solo ; et puis il y a deux Eiffel : Nicolas Bonnière et Estelle. Mais ils n’ont pas les mêmes rôles que dans Eiffel. Donc je bosse avec des gens que j’estime être bons musiciens, que j’aime… et avec qui je peux me barrer faire 80 dates, ce qui n’est pas toujours le cas !
C’est dur, la vie de groupe ?
Il faut faire attention. Il y a des frictions. Tu ne vas pas au bureau, hein ! T’es dans le camion, chambres d’hôtel, balances, petits problèmes techniques, jouer devant des gens, émotions… un truc très émotionnel, après plus rien, tout le monde se fout de toi. Puis d’un seul coup, tout le monde t’applaudit… il faut être structuré ! Savoir ce que tu veux, savoir où tu es. Ca m’arrive quelques fois de bâcher, mais je crois savoir où je suis. J’ai autant de plaisir à me trouver devant 1000 personnes, ou 2000, ou 80 ; que de rentrer chez moi et de me faire les œufs au plat le matin, d’aller chercher mon pain… Je ne cherche pas grand-chose de plus que de faire de la musique, tout le temps. Et d’être heureux avec ma famille et mes amis. C’est vraiment très con, hein ! Ca c’est des phrases que je ne prononçais pas avant. Mais j’y vois une certaine magie. Donc un certain graal. Donc une certaine quête. Et un truc journalier. Un truc d’un être humain. A l’échelle humaine.
Apaisé.
Oui. Tout ce qu’on nous propose, ce n’est plus à l’échelle humaine, je trouve. Communication à tout va… (en pointant le téléphone qui sert à faire l’interview) : t’inquiète, j’en ai un aussi… Mais on ne sait plus qui est qui, comment, quoi…
Je repense à ta Telecaster, que tu as sur quasiment tous tes concerts… Tu as d’autres objets fétiches, ou petits rituels, des petits trucs avant de monter sur scène ?
Hmm… je chante un petit peu, très bas. Vraiment très doucement, et très bas. En période de tournée, j’ai souvent la voix cassée… ce qui m’emmerde. Parce-que, bon, c’est éprouvant. Pour cette tournée, je pense que ce ne sera pas le cas, car ça va être moins gueulard. Mais bon, la voix cassée… il m’est arrivé de cracher du sang, sur scène ! Tu vois, tu gueules tellement que, voilà ! Alors, bon… ça va un moment, mais c’est con. C’est débile. Mais je peux être débile, moi. J’aime bien quand ça monte, quand ça devient fou… quand c’est que du bruit. J’adore ça. Mais j’aime aussi les arrangements, la musique. Donc voilà, je me chauffe très doucement, comme ça (il chantonne, très grave) : beuhaaabeuhaaa… Et souvent, je bois un whisky. Quand j’en bois pas deux. Quand j’en bois pas trois ! (grands rires). Nan mais juste le truc qui enlève un peu la pression, tu vois. Je suis très angoissé, moi. Très angoissé. Et malgré le fait d’avoir de l’expérience…
Oui. Brel d’ailleurs a continué de vomir de stress avant de monter sur scène, jusqu’à la fin.
Voilà. Et moi c’est même de pire en pire. J’angoisse, je, je… Bon et en même temps je me sens plus âgé, je suis plus vieux, c’est cool. J’ai 45 berges et c’est chouette, ça va ! Mais parallèlement, j’ai des doutes sur tellement de choses… ça peut monter, et me faire des sortes de panique-attaques…
Tu montes, quoi.
Oui. Depuis un an et demi, je monte beaucoup, effectivement, dans des trucs… donc c’est bien s’il y a de la détente, un petit peu. Voilà, mais ça peut être ça ou un anxio, tu vois. C’est pas très rock’n’roll, mais c’est vrai, c’est ça. Et puis le whisky, bien sûr.
Ca se comprend, c’est assez fort, de monter sur scène.
Oui. Quand tu attaches autant d’importance à ça, ça devient vraiment un acte, de faire de la musique, de monter sur scène… Ca peut devenir fou, dans ta tête. Alors que, bon (prenant une voix ingénue) : « vas-y, monte sur scène, fais nous la chanson, là ». Non (très sérieux). Moi ça devient tout un truc, tu sais… d’acte. Sur le moment.
Un truc fort.
Ouais. Et j’y crois, beaucoup. C’est pour moi, ça n’intéresse pas les gens.
Je pense que ça intéresse les gens, au contraire. Peut-être pas tout le public, mais moi, par exemple, j’ai vraiment grandi avec les albums d’Eiffel, entre autre. « Abricotine », etc.
Mais t’as quel âge ?
28 ans.
T’as commencé à 8 ans ?
Vers 12/13 ans.
Putain !
Et donc au collège, lycée, j’écoute beaucoup Eiffel, et c’est important. Peut-être parce-qu’ à cet âge-là on s’intéresse beaucoup à la musique, aussi.
Bien sûr ! C’est super, attend ! (passionné par la discussion). Je n’ai aucun dédain pour ces années-là, au contraire. Même pour moi. C’est une période super importante, où tu te « fais », en quelques sortes.
Oui ! Donc tu vois le fait de monter sur scène, faire acte de musique, ça intéresse le public, aussi. D’ailleurs j’ai monté un groupe au lycée qui s’appelait « Déviance », en hommage à ta chanson « En déviance ».
C’est pas vrai ! Putain ! Ah j’avais oublié cette chanson. Elle était pas que dégueulasse, hein (rires) !
Ouais. Mais c’était aussi pour le mot, « Déviance ». Car sur l’album c’était « Ne respire pas » ma préférée.
Ah ! Une chanson dont je suis très fier ! C’est une chanson sur les angoisses, comme on parlait tout à l’heure. Déjà, il y a 13 ans…
Et comme tu disais tout à l’heure, on est maintenant dans un monde globalisé ; et la musique l’est aussi. Pour beaucoup, elle n’a plus d’importance. C’est un truc qu’on écoute et qu’on jette.
Les gens ne l’écoutent même plus ! Ca devient juste un support pour la pub !
Du coup, il y a énormément d’artistes qui sont éphémères, qui sortent un disque ou un single, et qui après sont complètement oubliés. Je pense donc que c’est important, en tant que spectateur, qu’auditeur ou qu’artiste, de construire quelque chose, et de défendre une certaine idée de la musique. Ca veut dire quelque chose.
Ah oui ! Moi j’ai peur du vide, tu vois. Dès que je me retrouve – et ce n’est absolument pas le cas là – dans une interview où je me dis « wooh, c’est quoi ce truc ? », ça me fait peur. J’ai peur du vide, et il me faut du contenu. Pas du contenu en quantité, mais en qualité. Pas du contenant, du « bravo, merci, au revoir ! »… et on est dans ce monde-là. Faut arrêter de déconner, c’est bon, ça va… ils y sont arrivés… C’est BFM TV partout. Pff…
Sur un autre sujet, tu penses quoi de la scène actuelle ? Je pense à « Feu ! Chatterton », notamment.
(Admiratif). Enorme. C’est marrant que tu me parles de ça. C’est pas la scène actuelle, c’est « Feu ! Chatteron » que j’adore. J’aime pas tout dans ce qu’il se fait actuellement, et ça faisait un moment que j’aimais pas tout… et là… yeeees. Chouette, ça fait plaisir ! Moi je suis content quand il y a des trucs comme ça ! Ils sont très bons, c’est les meilleurs, c’est les meilleurs. Ca me fait plaisir, parce-que ça m’excite, je me dis « chouette, j’écoute Feu ! Chatterton ». Tant les textes (car on en parle beaucoup) que le groupe. La musique est super, et ils jouent bien, ils proposent un truc original. Il y a un peu de métaphysique dedans, un peu de Vian, un peu de bizarrerie… un truc qui m’intrigue. Donc ça me fait plaisir, je suis étonné. Je me dis « ah ouais, putain » , et ça me fout un truc, ça me fait un petit frisson. « La mort dans la pinède » ou « Fous à lier », ce sont des chansons supers !
Ca raconte des histoires.
Oui, et avec un imaginaire tellement particulier que soit tu es embarqué, soit tu ne l’es pas. Et moi je suis totalement embarqué, et je trouve que ce sont les meilleurs, et bravo, ça me fait plaisir. J’aurais aimé être aussi bon qu’eux à leur âge, c’est super. C’est ceux qui me charment le plus. Il y a aussi « The Do », « Camille », « Jeanne Added »… Par contre, il y en a d’autres – dont je ne citerai pas les noms – et dont tout le monde parle, qui ne me font ni chaud ni froid. Je suis peut-être un con, hein ! Mais chacun à ses goûts. Il y a des trucs que je trouve vraiment vides. Il y a quelque chose qu’il faut dire – et là c’est plutôt une pique – c’est que, dans certains articles, dans certains journaux, ils se foutaient un peu de la gueule des années 80… et il y avait de quoi, en partie. Mais pas que. Dans les années 80, il y avait des choses géniales ! J’avais 10 ans, et j’avais Police, The Cure, Tears for Fears… C’est pas de la provoc’, hein ! Depeche Mode ils ont fait des trucs sublimes. Et les 90s ont eu leur lot de merde aussi, hein ! Il y a eu Nirvana, mais tout ceux qui ont fait du Nirvana après, c’était naze… Et bref : les journaux se moquaient des années 80. Et là, c’est la mode de quoi en ce moment ? Les années 80, revival ! Et tout le monde cite – et ça, c’est ma phrase à moi, et tant pis si je me fais taper dessus – tout le monde cite Ian Curtis et Joy Division ; mais tout le monde ressemble à Rose Laurens, « Africa » ! « Je veux danser comme toi ». En France. Voilà, il y a beaucoup de ça. (il prend une petite voix aigue pimbêche) : « ouaiiis, vas-y, met des caisses claires électro. Avec une ambiance un peu conne, un peu spectrale, vas-y » ! Et à la fin ça fait « A-fri-ca ! Je veux danser toi ! », ou Jeanne Mas, quoi (rires) ! Nan mais c’est ça, et ils se rendent pas compte ! Et les médias, qui chiaient sur les années 80, encensent ça ! Par contre, « The Do », leur troisième album, avec de la matière synthétique, est sublime. Mais ils sont capables de faire l’inverse avec l’album d’avant. Ca chante grave, les compos sont géniales, Dan – le producteur – , super. « Jeanne added », il y a des belles choses se passent harmoniquement. J’aime bien quand il y a de l’harmonie, des mélodies… des propositions un peu « paf ! », ça t’étonne. Ce n’est pas comme le reste. Ce n’est pas qu’un son, quoi. Et il y a d’autres trucs qui ont cartonné, mais qui me laissent pantois… et puis c’est mort dans deux ans.
Pour finir, des nouvelles d’Eiffel ?
Eiffel est un groupe qui existe toujours, avec la volonté de faire d’autres albums. Et sûrement un qui… enfin, on va s’en parler à Noël, de quand est-ce-qu’on s’y met. Mais moi j’ai écrit 12 chansons, pour un prochain album.
Tu as déjà 12 chansons prêtes, là ?!
Les textes, non. Mais la mélodie, oui.
Ah, tu fais la musique avant les textes, maintenant ?
De plus en plus, oui. J’ai vachement fait ça au début; et je m’en foutais des textes. D’ailleurs ça s’entend, et j’en suis pas très fier, maintenant (rires). Les textes d’ « Abricotine », tout ça… Et puis après, je me suis mis à écrire les textes avant, pour pouvoir dire: « Regardez, j’écris ! ». Et la musique est devenue beaucoup plus dure, beaucoup plus conne, beaucoup plus simple. Mais, cool. Ça m’a fait la voix, tout ça. Et là, j’essaie de revenir à la musique, en fait, en gardant ma manière d’écrire. Et d’avoir les deux, et en français, et en anglais. Et pour le prochain Eiffel, il faut qu’il y ait une raison. On ne peut pas arriver comme ça… Trois garçons et une fille qui ont 45 ans, si on joue, c’est parce-qu’on s’aime beaucoup, parce-qu’il doit y avoir une raison. S’il n’y a pas de raison, on arrête. Et il y a une raison, on le sait. Et il faut qu’on trouve le truc artistique pour ne pas faire de nouveau le même album, sans rien changer. Il a été question des milliards de fois d’arrêter Eiffel ! Mais, non ! Il n’y a pas de raison, puisqu’on est bien ensemble. Il faut juste trouver l’axe sonore qui va être intéressant ; tout en restant sur basse/guitare/batterie.
La base, quoi.
Oui. Autrement, si tu changes les sons, c’est cool mais… non ! Je ne vais pas faire la même chose que j’ai fait en solo. En solo je m’éclate, je mets tout. Là, limite, pour le prochain Eiffel, je serai presque pour quelque chose de minimaliste : basse guitare batterie, mais une manière de jouer, une manière d’écrire… un truc… mais ça point, là. Ca vient ! (il s’enflamme) : Et j’aimerai faire un truc abrasif. Très court. Tout live. Un album d’une demi-heure. A 10 chansons. Paaaf ! Un brûlot, quoi. Abrasif total. Le truc peut-être pas vendable, ou quoi. Je m’en fous, c’est pas le problème. Mais voilà !
C’est vrai qu’en solo, on sent que tu as beaucoup plus de palettes d’instrument.
Oui, et c’est pas pour ça que c’est plus riche. C’est une autre manière de faire les choses. Je veux dire, moi je ne crois pas trop en l’outil. Je l’utilise, mais je ne crois pas plus au marteau qu’à la gouge, ou qu’aux ciseaux-à-bois. Hé bien c’est pareil, je ne crois pas plus aux cordes qu’à la grosse guitare saturée. Ca dépend ce que tu veux exprimer avec. C’est le propos qui m’intéresse. Et le langage.
Hé bien on a hâte d’entendre ça. Merci Romain !
Merci beaucoup !
par Martin Jeanjean| discordances le 23.09.2016
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