La fratrie des Ogres: Mathilde, Fred, Alice et Sam.La fratrie des Ogres: Mathilde, Fred, Alice et Sam. (Photo Pierre Wetzel) |
Vingt ans plus tard, les Ogres de Barback restent une affaire de familles. Au pluriel : dans la salle, ce soir-là, à l’Espace Michel-Berger (EMB) de Sannois, dans le Val-d’Oise, ils sont nombreux à être venus avec les petits, les vieux, voir cette fratrie : deux frères, Fred et Sam, deux sœurs, Alice et Mathilde, portant le nom de Burguière, qui officient, dans un univers de copains, de collaborations (Manu Chao, Weepers Circus) et de références croisées (Perret, Brassens, Bérurier noir, world).
Les familles ont grandi, se sont décomposées, recomposées. Il y a les fans de la première heure, ceux qui y sont venus via les mômes, et Pitt Ocha (trois albums unanimement applaudis par les moins de 12 ans). Tous sont là en tout cas pour fêter les 20 ans du groupe. Et se retrouvent en embrassades au bar de cette salle où les Ogres sont chez eux (ils y ont fait une vingtaine de dates, enregistré deux lives), avant d’entonner, enthousiastes, les chansons de leur dernier, Vous m’emmerdez, ou les classiques Accordéon pour les cons ou Rue de Panam.
«Liberté». Niveau énergie, ça va bien, merci. D’ailleurs, les Ogres de Barback ont pour l’occasion ressorti leurs bottes avec une tournée de plus de 60 dates - ils en faisaient 120, 150 les premières années. Sannois était la dernière de la partie «20 ans de salles», tandis que Montauban, ce soir au festival Alors chante, ouvre une deuxième partie «festivals», à laquelle succédera «20 ans de joyeux bordel», et des grandes salles, notamment deux Olympia les 29 et 30 octobre.
«On voulait des endroits qui ont du sens, explique Julien, membre du staff. Il y a des organisateurs qu’on connaît depuis dix, quinze ans. Fêter nos 20 ans avec eux, c’est pas comme aller jouer dans une Fnac.» Face à l’impitoyable industrie du disque, la famille Ogres - 23 personnes pour la version light, y compris la fanfare béninoise Eyo’nlé qui muscle cette tournée - est un cas à part. Avant même le deuxième album, en 1998, ils achètent leur premier chapiteau, gérant les tournées comme ils l’entendent. Dans cette foulée vers l’autonomie, ils s’autoproduisent et se distribuent. «C’est une économie un peu fragile, constate Fred, le chanteur. Mais on dispose d’une liberté totale en gagnant normalement notre vie : le même cachet à Montluçon ou à l’Olympia. Un choix qui nous permet de faire des petites salles, de répondre à la demande d’associations dont on partage les valeurs, mais qui n’ont pas forcément les moyens de payer le prix fort.» Et de comptabiliser 2 000 concerts.
Les Ogres ont continuellement eu du mal à intéresser les médias mainstream : radios, télés, presse écrite regardent le phénomène passer avec une moue. «Soit ils estiment qu’on n’a pas besoin d’eux, soit ils nous snobent», explique Julien. «Au début, on était les rebelles, ceux qui font du rock en disant des gros mots», continue Alice, douce-amère. «Après avoir été considérés comme des sous-Têtes raides, nous voici dans la case "Vendeur de merguez" : sympas et qui ne mangent pas de pain.»«Il y a cinq ans, complète Fred, face à la crise du disque, on a offert un DVD avec la place de concert à 25 euros. Aucun média n’en a parlé. On était dégoûtés.» Un constat balayé par des préoccupations plus immédiates. «On flippe surtout sur l’avenir du statut d’intermittent. Il nous a permis de devenir ce qu’on est. Sans lui, une grande partie de la culture en France disparaît.»
«Avenir». Le secret de leur longévité ? «On s’entend bien, on ne s’ennuie pas. On ne part jamais plus de quatre jours pour pouvoir préserver une vie de famille», énumère Fred, qui se veut «serein» : «On gagne tous la même chose, au chant, à la lumière ou à la conduite du camion : ça évite les rancœurs.» Et dans vingt ans ? Fred sourit : «On sera devenu un groupe de vieux, qui sortira un album tous les quatre ans et fera une trentaine de concerts par an.»
Stéphanie ESTOURNET 27 mai 2014 dans Libértion
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Les trompettes de la renommée
La génération de groupes altermondialistes apparus dans les années 90, héritiers du punk festif, continue d’arpenter les scènes, discrètement mais sûrement.
Ils ont disparu ou presque du paysage médiatique, mais ils continuent d’arpenter la France, en remplissant les salles - grandes ou petites. Les Ogres de Barback font partie d’une génération de groupes français qui semblent inusables, indépendants par principe, autonomes par habitude.
Tangente. Lorsqu’elle a débarqué dans le paysage musical français au milieu des années 90, la fanfare a profité d’une scène déjà bien structurée, qu’on disait alors «alternative». Dans les années 80, le rock français avait déjà enfanté une génération foisonnante de groupes (Bérurier noir, Ludwig Von 88, Dogs, la Souris déglinguée, le Cri de la mouche, Parabellum, les Sheriff…) qui prenaient la tangente des productions trop arrondies par les petits calculs de l’industrie du disque. Cette génération-là a créé des labels (Bondage, Gougnaf, Eurobond Records), ouvert des squats (l’Hôpital éphémère à Paris), joué pour des radios encore un peu libres et éduqué un public qui se reconnaissait dans cet héritage punk fêtard. Puis le début des années 90 a sonné la fin de la fête. Certains groupes, comme les VRP, ont mal vécu d’être trop visibles, tandis que d’autres, dont la Mano Negra, furent absorbés par de gros labels. Jusqu’à ce qu’une nouvelle vague vienne relancer l’idée d’indépendance. Debout sur le zinc, les Hurlements d’Léo, puis la Rue kétanou, préféraient, eux, l’option variété française et l’accordéon à la guitare électrique, ils se montraient aussi moins ténébreux, mais l’esprit n’était pas bien différent, avec le recul. Les Ogres ont ainsi très tôt créé leur propre maison de disques, Irfan, pour garantir leur indépendance artistique et financière.
Musette. Gros carton public à l’époque, leur musique imprégnée de musette autant que de rock était la mise en sons d’une génération qui découvrait l’altermondialisme en même temps que les films bondissants d’Emir Kusturica. Les Ogres et ses groupes frères suivent aussi plus ou moins ouvertement la piste défrichée par Lo’Jo, un groupe fondé à Angers en 1982. Toujours prête à essayer un nouvel instrument, la troupe de Denis Péan s’est tour à tour intéressée au tango, aux musiques touareg (jusqu’à co-initier le Festival au désert en 2000) et réunionnaise, pour rester un modèle, quelque part entre sono mondiale et chanson française. Passées quelques années fastes, ces groupes ont été lentement oubliés des médias, sans pour autant lâcher le morceau, continuant à sortir des albums pour dépasser les années 2000. Jamais vraiment à la mode, et donc indémodables.
Sophian FANEN 27 mai 2014 Libértion
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