Le guitariste anglais Jimmy Page. | DOMINIQUE TERLÉ |
Jimmy Page est à l'Olympia pour présenter quelques extraits d'inédits qui accompagnent la réédition des albums studio de ce qui aura été, dans les années 1970, l'un des groupes de rock les plus célèbres au monde. Et qui, depuis sa séparation après la mort du batteur John Bonham (1948-1980), continue de faire référence.
La campagne de réédition du patrimoine de Led Zeppelin, supervisée par Jimmy Page, a débuté le 2 juin. Première vague : Led Zeppelin, avec sa pochette qui représente l'accident du dirigeable Hindenburg, le 6 mai 1937 ; Led Zeppelin II, la silhouette du dirigeable en fond d'une photographie détournée d'un groupe de soldats de l'aviation allemande lors de la première guerre mondiale ; Led Zeppelin III, ses motifs psychédéliques mêlés de gravures d'avions, de dirigeables, de portraits des musiciens, Page, Bonham, le chanteur Robert Plant et le bassiste et claviériste John Paul Jones.
PLUSIEURS PRÉSENTATIONS COMMERCIALISÉES
Pour chacun, plusieurs présentations sont commercialisées. Album CD et 33-tours vinyle simple, double CD et 33-tours vinyle dit « deluxe » avec un recueil d'inédits intitulé « companion disc », fichiers numériques sur les plates-formes légales de téléchargement et coffrets dit « super deluxe » avec, outre les CD et 33-tours, un épais livre de photographies – façonnage, reproduction, qualité du papier au plus haut niveau – et code pour télécharger les fichiers numériques en haute résolution. Les cinq autres albums en studio durant l'activité du groupe et l'album posthume Coda, sorti en 1982, devrait paraître de la même manière dans une période de deux ans. Tout a été remasterisé aux normes technologiques actuelles, à partir des bandes originales.
Les trois premiers albums de Led Zeppelin sont les témoins de l'envol vers la gloire du groupe britannique. Page, d'abord avec les Yardbirds – où ont oeuvré deux autres guitaristes de poids, Eric Clapton et Jeff Beck –, et ses camarades transforment le blues du delta du Mississippi en un élan puissant et rageur qui va prendre le nom de hard-rock. Autre influence, celle du folk, dans le creuset des musiques des cultures celtes. S'y ajoute un goût pour l'expérimentation sonore, y compris sur la voix de Plant. Disques et concerts fusionnent ces éléments. Signé par Atlantic, la compagnie phonographique américaine, peu après les séances d'enregistrement de son premier album en septembre et octobre 1968, Led Zeppelin va dominer le son et l'imaginaire du rock des années 1970.
Lors de cette présentation à l'Olympia, Page n'est pas venu avec une guitare. Après la diffusion des morceaux sur le système de sonorisation de la salle, en même temps que la projection de documents figurant dans les livres qui accompagnent les coffrets, et d'extraits de films, il répond à une série de questions sélectionnées à l'avance. Rien ne dépasse. Pas de rappel d'épisodes douteux de l'histoire du groupe, ceux qui ont fait sa légende sombre : l'alcool et la drogue pour tenir le coup – ou juste passer le temps – lors de tournées harassantes, les filles comme des poupées jetables, l'entourage menaçant et violent mené par le manager Peter Grant… un quotidien commun à de nombreux groupes mais qui chez Led Zeppelin serait plus fou, incontrôlable, dangereux.
« RAPPELER UNE HISTOIRE DE MUSIQUE »
Ces aspects-là, Jimmy Page n'est pas là pour en parler. Dans la chambre d'hôtel où il reçoit peu avant sa participation à la soirée de lancement à l'Olympia, il a beau être un peu affaibli par un refroidissement, son regard ne laisse place à aucun doute lorsqu'il déclare « ces rééditions sont l'occasion de rappeler une histoire de musique. C'est tout. » L'occasion aussi de redire qui est le patron. Jimmy Page, fondateur du groupe, son producteur – « j'ai produit tous les albums et les séances d'enregistrement à l'époque. Mes choix, mes décisions étaient OK pour les autres à ce moment-là. C'est toujours le cas » –, celui qui en est devenu la mémoire et l'archiviste.
C'est après la parution en novembre 2012, de Celebration Day, CD et DVD du concert du 10 décembre 2007 à l'O2 Arena de Londres, qui avait vu les trois membres survivants du groupe rejouer ensemble avec Jason, le fils de John Bonham à la batterie – 20 millions de demandes pour 20 000 places possibles – que Page a commencé à travailler sur le projet de réédition. « C'était d'abord quelque chose de personnel, l'inventaire de mes archives. En commençant par mes premiers essais, quand j'étais adolescent, que je vivais chez mes parents . Cela m'a amené vers les Yardbirds, puis Led Zeppelin. C'est à ce moment que j'ai eu l'idée des “companion discs”. »
Mais avant ce qui est pour les amateurs du groupe la grande affaire de ces rééditions, qu'en est-il du son ? Pour ces nouvelles éditions, il a de l'ampleur, du grain, un relief, et n'a pas été gonflé pour sonner artificiellement fort et puissant, comme cela peut arriver. « Tous les cinq ans, il y a de nouvelles lubies et manières d'écouter la musique. La technologie suit cela. Mon propos est de rester dans la couleur sonore des vinyles originaux pour tous les formats. Le CD, le Blu-ray audio, les fichiers en téléchargement, etc. Mais tout cela en haute résolution. Plein de groupes annoncent la remasterisation de leur catalogue. Donc je n'ai rien inventé, mais cela a été fait minutieusement et en profondeur, ce qui n'est pas toujours le cas. » Et un nouveau mixage à cette occasion ? « Non. C'est le mix stéréo d'origine. Avec les oreilles de l'époque et celui que l'histoire a retenu. Ce dont nous étions fiers. Alors pourquoi mettre un peu plus de guitare, un peu plus de grosse caisse, accentuer un effet sur la voix, atténuer ceci ou cela ? »
QUELQUES TITRES INÉDITS
Pour le « companion disc », pas plus de révisions historiques. Si le premier album est accompagné de la prestation à l'Olympia en 1969 – une apocalypse de tension et d'urgence rendue dans toute sa gloire –, les albums suivants ne proposent pas de concerts. En revanche, en suivant le même ordre que le déroulé des albums, la sélection consiste essentiellement en rough mix (mixage rudimentaire, avant l'ajout d'effets, d'instruments) et alternate mix (mixage différent de celui publié). Et quelques titres inédits ou préfigurant une future chanson.
« J'ai écouté des centaines d'heures de bandes. Je vous le redis : c'est moi qui ai produit et supervisé toutes les séances d'enregistrement des albums de Led Zeppelin. Je sais donc mieux que personne ce qui est bon ou pas. Je sais ce qui a une valeur musicale. Certains groupes vont vous mettre cinq ou six versions d'un même morceau. Il me semble plus pertinent qu'il y ait un choix. » Donc le rough mix de Whole Lotta Love ou de Heartbreaker qui est présenté est « le meilleur, le plus intéressant » ; pareil pour l'alternate de Immigrant Song ou de Celebration Day. Parole de Jimmy Page.
« Peu de choses, mais la quintessence », insiste-t-il. Et, grinçant : « Je sais ce qui traîne sur les pirates . Franchement, c'est de la merde, vous pourrez les jeter. » Que Led Zeppelin figure dans le haut de la liste des groupes de rock les plus piratés n'a jamais été considéré avec bonhomie par le groupe ou par son manager.
Robert Plant, John Paul Jones et le fils de John Bonham ont-ils participé aux choix des inédits ? « Non. Ils savaient que je ferais les bons choix, que je serais attentif à rendre le meilleur du groupe, pas qu'à mes parties de guitare. Tout le monde a vu le résultat final. Nous n'en avons pas encore parlé. » Page se lève et l'ange qui passe discrètement emporte alors avec lui la rituelle question sur une possible reformation de Led Zeppelin, à la manière d'un événement spécial comme lors de l'hommage au patron d'Atlantic, Ahmet Ertegun (1923-2006) et sa fondation pour l'éducation, lors du concert de 2007 à l'O2.
Sylvain Siclier, Le Monde le 13 juin 2014
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