Le chanteur français fait le grand écart entre la gouaille de Montreuil et le groove de Memphis. Rencontre
«Cet album n’est pas conceptuel. Il y a des sujets qui se ressemblent, c’est vrai, comme cette espèce de thématique sur la mort, mais ça parle aussi de vélo.» Tout Sanseverino en une seule phrase. Ou comment désarçonner l’auditeur, monté (en danseuse) sur son biclou filant sur des chemins que l’on croit bien carénés mais qui se révèlent au fil du voyage riches en nids-de-poule, en zones glissantes, en montées vicelardes et en zigzags rigolards.
Fallacieusement apparu au début du siècle dans l’attelage de la «nouvelle chanson du quotidien» entre Bénabar et autres Vincent Delerm, Sanseverino n’a pas boudé l’appel d’air du peloton et, pépère, s’est installé dans la caravane musicale francophone. Montreuil-Memphis est déjà le 8e disque du faux dur à vrais tatouages, féru de belles guitares et de beau blues tous deux américains dont il chatouille les aisselles avec une plume ramassée sur les trottoirs de Paname.
D’ailleurs, cet «album qui n’est pas conceptuel» l’est pourtant suffisamment pour emprunter son titre au Nashville ou Belleville d’Eddy Mitchell, qui ne lui en veut pas. Le parrain du rock Beaujolais l’a même invité sur son dernier disque de duos. «Je ne connaissais pas Schmoll, mais j’aime bien le personnage de grande gueule, au-dessus de la mêlée, capable de dire à Zaz que sa musique pue l’accordéon — bien que pour moi l’accordéon ne résume pas la musette. Mitchell m’a fait découvrir plein de choses quand j’étais gamin. Avec Johnny, il fait partie de ces mecs qui ont dû inventer un truc en France avec ce rock qui leur tombait dessus des États-Unis.»
«Va chercher du bricheton!»
Sanseverino, lui, doit à sa formation de comédien d’avoir su jongler avec plus d’une influence: blues, rock’n’roll, punk, jazz tzigane, chanson italienne du côté maternel et, côté daron, l’héritage d’un argot doré sur tranche. «Ma grand-mère tenait un bar. «Va chercher du bricheton!» c’est pour aller acheter du pain. On dit aussi briottet. J’entendais ça plus un mélange de louchébem, le langage des bouchers, et de termes manouches. De l’autre côté, j’avais droit à de l’argot napolitain qui défilait à toute vitesse, je ne bittais pas un traître mot.» Peut-être par surdose verbeuse, Stéphane Sansévérino se dirige vers la guitare et ses sonorités universelles. Aujourd’hui encore, il laisse la six-cordes guider son inspiration pour concocter sa musique, en bel équilibre entre le flot du Mississippi et celui de la Seine. «Je chante un peu par défaut. J’adapte mes paroles et mon chant à la grille d’accords, en accélérant éventuellement le débit pour que tout rentre bien dedans.»Même dans son habillement, le chanteur ne choisit pas. À Lausanne mercredi passé, où il était venu pour la bonne cause prêter sa musique à l’opération de la Radio romande, Cœur à cœur, sa casquette «Bad Mother Fucker»(méchant embrasseur de mamans) surplombait dans l’ordre: un épais costard à carreaux, un gilet bonhomme et une large cravate nouée façon écharpe. «J’étais au bord de l’angine la semaine passée. Comme Bernard Lavilliers à Lausanne, j’ai failli annuler des dates. J’ai fini aux pastilles pour la gorge mais j’ai évité les piqûres de cocaïne, ça va.» Il chantera quelques heures plus tard. «Je viens volontiers faire mon métier. La promo à la télé me dérange un peu plus: on n’y joue pas, on y cause. J’aime parler musique, mais hormis mon avis de citoyen lambda, je n’ai rien à dire de plus à un mec de droite antiécolo, sinon que c’est un con. Et aller le dire comme un candide en attendant de glisser pour «faire le buzz», merci bien. Je me suis déjà retrouvé dans une émission sur le conflit israélo-palestinien! Quelle est ma légitimité à parler de ça? Est-ce que je demande aux sociologues de m’expliquer les amplis pour guitare?»
Dans sa poche de veston, son passeport français marqué du drapeau européen dépasse, bien visible. Comme une sécurité enfantine, au cas où l’on retrouvait à l’aube le chanteur de 56 ans perdu dans une fête gitane, une jam blues ou une fin de tarentelle napolitaine, comme il assure en vivre encore dans quelques recoins de Montreuil. «Les Ritals font deux tonnes de spaghettis à la tomate et tout le monde danse sur cette musique médiévale, jusqu’à la transe. C’est tribal, comme en Afrique. On soignait des gens avec ça: le rythme!»
Sanseverino - Montreuil Memphis |
Critique
Blues, absolument. Boisé, rugueux et strié d’un harmonica sauvage, Touchez pas au grizzli donne le ton de cette virée Montreuil-Memphis.
Le premier lieu pour le bagout et des paroles où s’ébrouent des mots comme «fripouille» et «mitard», la seconde destination pour la musique où s’éclatent des guitares pleines de boogie, de slide et de nerfs.
Le mélange est impeccable, tant Sanseverino incarne sans se forcer cette rencontre idéale entre l’esprit de la chanson gavroche et la décontraction d’un swing américain.
Que l’on fasse le choix du groove ou des textes, riches en pas de côté et en trouvailles heureuses (et ces titres! J’ai vu que ma bonne a disparu ou Je ne pense qu’à tes fesses…), ce grand écart entre deux continents séduit d’un bord à l’autre.
F. Barras 24heures.ch le 23.12.2017
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