dimanche 17 décembre 2017

Bernard Lavilliers : « J’ai toujours écrit sur l’exil » (L'Humanité)

Bernard Lavilliers
Bernard Lavilliers



Éternel voyageur et exilé dans l’âme, le chanteur baroudeur revient avec 5 Minutes au paradis. Un album de journaliste-poète qui témoigne des maux du monde, porté par le titre Croisières méditerranéennes, sur le drame des réfugiés, et l’Espoir, beau duo avec Jeanne Cherhal. L’artiste fait son retour à l’Olympia en novembre.



Vous évoquez beaucoup Paris dans votre album. Vous, le Stéphanois, est-ce qu’il vous arrive de vous sentir parisien ?

Bernard Lavilliers
J’aime Paris. Je ne sais pas ce que c’est qu’être parisien parce que, au fond, on est tous d’ailleurs. Avant, il y avait les Parigots qui étaient de Belleville et de Ménilmontant. Plus personne ne revendique cette histoire. J’ai l’impression que l’idée d’être parisien a disparu ou alors c’est quelque chose d’assez péjoratif pour un Marseillais, par exemple. La dernière fois que je suis revenu de voyage, après douze heures de vol, j’ai pris le taxi qui est passé par les quais tôt le matin. Et c’est vrai que ça a toujours ce charme. J’y vois toujours François Villon, Paul Verlaine. Paris est une ville de poètes du monde entier, de peintres, de musiciens…

Vous avez tenu à ouvrir par la Gloire, un poème écrit par Pierre Seghers. Qu’est-ce qui vous séduit dans ce texte ?

Bernard Lavilliers
J’étais en train d’écrire Vendredi 13, sur les événements, le Bataclan. La Gloire est un poème qui a été écrit pendant la guerre d’Algérie sur des mecs – c’est un parachutiste dont Seghers parle – qui sont aussi des fous de Dieu, de la nation, de la violence, de la France, de Tamanrasset à Dunkerque. Il y a une dinguerie d’être nationaliste à ce point. Par rapport au côté sanguinaire qu’il y a eu, je trouvais qu’il y avait quelque chose comme ça. Il écrit ça en 1954, ça devait être assez mal vu ce genre de texte à l’époque, où on disait qu’on faisait une opération de police dans l’Algérie française. J’ai trouvé que ce poème pouvait être transposé là maintenant. Les guerres économiques, à un moment, ça devient des guerres physiques. Il n’y a plus d’inhibition. C’est ce qu’il raconte, au fond.

Un texte qui vient avant Croisières méditerranéennes. Quel sens donnez-vous à cette chanson ?

Bernard Lavilliers
Au départ, j’avais écrit un texte plus long. Une nouvelle où je compare la croisière Costa en Méditerranée, qui croise fatalement des Zodiac plus ou moins rapiécés. Ce sont des bateaux d’une hauteur incroyable d’où on ne risque pas de voir les réfugiés en dessous qui rejoignent les côtes et essaient de sauver leur peau. Il y a deux mondes qui vivent en parallèle sur la même mer et qui ne se voient pas. J’ai fait une mélodie extrêmement douce pour éviter le tragique. Quand on écrit sur ces thèmes, on peut vite être dans le pathos ou en faire des kilos et devenir ridicule. J’ai toujours écrit sur l’exil. Dans ma tête je suis un voyageur, donc un exilé. Je ne suis pas forcément parti pour fuir quelque chose. Même dans Question de peau, je parle d’un Africain qui débarque seul et qui rase les murs pour ne pas se faire attraper par la police. Maintenant, ce sont des troupeaux d’exilés qui peuvent être des réfugiés climatiques ou qui fuient la faim, la guerre, les barbus ou les dictateurs de toute sorte.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Vendredi 13 ?

Bernard Lavilliers
Il fallait que j’écrive sur le Bataclan. C’est du témoignage, ce que je ressens profondément. J’essaie de traduire ce qu’ont ressenti pas mal de gens, sauf que j’enlève la peur. Je décris ce que c’est : « Ces pantins noirs au captagon (amphétamines – NDLR) vident leur néant sous les néons. » Il ne faut pas oublier cette histoire où il y a eu 130 morts. Je parle de cela, de l’idéologie de ces barbus qui sont très près du gibet de Montfaucon, de l’Inquisition, des assassins de la Commune. Je compare ces crises effroyables d’assassinats. Ils ont une théorie fasciste. Ils ne supportent pas la démocratie, c’est clair. Il y a quelque chose de nazi derrière tout cela. C’est ce que je ressens. Et puis, ça doit attirer les mecs un peu trop jeunes, dérangés dans leur tête. Je vois très bien tout cela.

Quelle lecture faites-vous du titre 5 Minutes au paradis  ?

Bernard Lavilliers
C’est un marchand d’armes, moitié mercenaire, qui est là-bas sur les frontières. Ce ne sont pas des gentils, les mecs que je décris. Je chante : « 5 minutes au paradis avant que le diable n’apprenne ta mort ». Comme s’il y avait une erreur d’aiguillage. C’est presque un polar cette chanson. Dedans il y a les Blackwater, une société militaire, une armée privée. Je les ai rencontrés en Afrique du Sud. 50 000 hommes, des mercenaires. Ils sont forcément par-ci, par-là, parce que tout le monde ne veut pas voir les GI revenir les pieds devant. Je le dis d’ailleurs, « pour Daech, ça dépendra des ogives de Blackwater ». Est-ce qu’ils vont utiliser les bombes qui n’ont que 5 à 10 kilomètres de rayon ou pas ? Pour ne pas tuer tout le monde, du moins c’est ce qu’ils croient, ils ont « miniaturisé » les effets.

Récemment vous chantiez la Loi du marché en duo avec Cyril Mokaiesh. Et là, vous revenez sur la crise et ses ravages à travers la chanson Charleroi…

Bernard Lavilliers
C’est n’importe quelle ville qui part en friche, qui perd de la population, du travail, où s’impose la loi du plus fort. Dans le clip que j’ai tourné, on voit une maison de mineurs calabrais à 500 mètres de la mine qui est devenue un musée. Le père de mon bassiste a vécu là. La Méditerranée est là. Il y a toujours plein d’Italiens dans ce quartier, des gens du Maghreb. Des pauvres. On est sur les effets de la crise avec quelqu’un qui veut rester, comme s’il pouvait sauver la ville tout seul. Et il y un milliardaire qui a racheté une partie du centre-ville. D’accord, il a fait mettre un coup de peinture, mais le chômage est toujours là. Le type qui veut rester, il sait très bien que l’autre lui ment, et pendant ce temps-là, puisqu’il n’y a plus rien, plus de loi, les trafiquants d’armes et de came peuvent s’installer.

Il y a aussi Bon pour la casse, une chanson qui traite du licenciement…

Bernard Lavilliers
C’est la version des Mains d’or pour cadre supérieur. C’est une véritable histoire. Il est numéro 1 dans une entreprise et se retrouve à la rue en une demi-heure, viré sans savoir pourquoi. Tout ce que je raconte, il me l’a dit, même si je l’ai écrit autrement. Il finit en bas d’une tour de la Défense avec ses cartons et les vigiles qui lui disent de ne plus entrer même s’il a oublié un truc. Ils ne le connaissent plus. Peut-être que certains se croyaient à l’abri comme lui, non. Dans le dégraissage, c’est un changement de stratégie. On met un cadre plus neuf, qu’on paiera moins.

Que pensez-vous du paysage politique depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?

Bernard Lavilliers
Il paraît sûr de lui jusqu’au moment où ça va se dégrader. La France n’est pas une entreprise. Il y a des êtres humains. La robotisation, les nouvelles technologies, on en est parfaitement conscient. On ne va pas maintenir des emplois qui n’existent plus. Je sais bien qu’on ne vendra plus de CD la prochaine fois, mais je ne vais pas m’obstiner à croire que le vinyle va le remplacer ! Macron a une fâcheuse tendance à prendre les gens pour des cons. C’est sa grande jeunesse peut-être qui fait ça. Là où Michel Onfray a raison, c’est qu’on a eu le choix entre l’extrême droite et lui. Alors ? Voilà l’histoire. Ce que je pense de sa grande entreprise de nettoyage, de transparence, c’est qu’il n’y aura jamais autant de corruption. Parce que ce ne sont pas des gens de métier et que les personnes issues de la société civile gagnaient plus d’argent auparavant. À la limite, il pourrait démontrer que le capitalisme moderne, c’est la solution, qu’il est plus humain. Moi, je ne le pense pas. Ce que Macron a réussi à faire, c’est détruire à peu près le Front national. En fait, on assiste à un grand écart entre un vieux monde avec de vieilles obsessions comme les nationalistes et un monde de geeks, comme mon petit-fils, qui bosse dans une espèce de ruche de cerveaux, sans connexion avec le réel. Le problème est qu’il n’y a pas de production tangible, c’est pour ça que je me moque de Mittal dans la chanson Fer et défaire.

Heureusement, à la fin, il y a une note d’optimisme avec l’Espoir, que vous interprétez en duo avec Jeanne Cherhal…

Bernard Lavilliers
Que j’ai voulue en conclusion de mon album un peu raide, noir. Ce n’est pas un disque romantique, c’est plutôt un album de journaliste. Ça parle beaucoup de choses qui se passent. Il fallait une voix comme celle de Jeanne, que j’aime beaucoup. C’est un peu Le soleil se lève aussi, malgré tout ce qu’on a vécu ces derniers temps, et ce n’est pas fini, cette menace.



Entretien réalisé par Victor Hache L'Humanité, le 3 Octobre, 2017


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