lundi 21 août 2017

Pascal Bussy : « Le jazz redevient une musique jeune » (La Croix)



Le jazz fête ses 100 ans cette année. Grâce aux concerts et à la créativité des artistes, ce genre musical concerne aujourd’hui un large public. Entretien avec Pascal Bussy, responsable des labels Jazz Village et World Village chez PIAS/Harmonia Mundi (1).





La Croix : Quels sont aujourd’hui les publics du jazz ?

Pascal Bussy : Le jazz est la musique la plus ouverte, c’est comme ça depuis un siècle, elle tend à cannibaliser les autres, ce qui se traduit dans le renouvellement du public. Comme on le voit en concert, son public est transgénérationnel.

Pour les labels, c’est la même chose, tous ont une complémentarité d’artistes. Des très installés (Wayne Shorter, Ahmad Jamal, Sonny Rollins…) aux jeunes, comme Kamasi Washington, Jowee Omicil, Shabaka Hutchings, trois musiciens qui pratiquent une musique décomplexée et transforment tous les canons du jazz. Ils prennent le funk, la pop, le blues et les apportent au jazz.


Le jazz est parfois considéré comme démodé…

P. B. : Mais depuis un siècle, chaque fois qu’une nouvelle esthétique du jazz est arrivée, les autres ont continué à vivre : les big bands, le be-bop, le New Orleans, le free… Les musiciens vont chercher des éléments dans tous ces styles.

Ahmad Jamal, 86 ans, présente cet été son album Marseille, dédié à cette ville par un artiste américain très francophile. Il a fait la première à Marseille avant de le jouer à Vienne et Paris. Qui est invité ? Abd Al Malik, 42 ans, et Mina Agossi, 45 ans, dont Ahmad Jamal pourrait être le grand-père : ils font cette jonction entre les ­générations.


Ces passages de témoin vont-ils amener plus de jeunes au jazz ?

P. B. : Oui, et le renouveau du disque vinyle aura aussi une grande influence. C’est plus qu’une mode, ses parts de marché redeviennent significatives, et ça pousse beaucoup de jeunes à découvrir cette musique et son histoire.

Dans les maisons de disques, les professionnels croisent leurs expériences. Moi j’ai 60 ans, je suis issu d’Harmonia Mundi, achetée en 2015 par Pias. Je me suis retrouvé avec les trentenaires de leurs labels. Dans les concerts, c’est pareil, les générations se croisent. Les jeunes écoutent beaucoup de musique, cherchent de nouveaux styles. Le jazz redevient une musique jeune, portée par des musiciens aux diverses influences, comme Jowee Omicil, Canadien aux origines haïtiennes qui vit en France, saxophoniste, flûtiste, clarinettiste…

Le jazz redeviendra-t-il populaire ?


P. B. : J’espère que le jazz va redevenir populaire, comme dans les années 1930 et 1940 quand c’était une musique pour danser dans des clubs. Il y a eu un moment où le jazz était très élitiste. Ce qui a fait du mal, c’est aussi une certaine critique, qui a duré des années 1950 à 1970. Le discours était « mon jazz à moi n’a pas le droit de changer », et tous ceux qui innovaient se faisaient siffler. Or, on peut aimer le jazz et la pop, le rap, le classique… Il y a eu un décloisonnement des étiquettes en France.

À l’heure du streaming, quelle place peut garder le disque ?

P. B. : La musique prend son sens avec le disque, qui reste une balise, un jalon dans la carrière des artistes. Le concert, c’est le moment où la musique prend son ampleur, gagne sa puissance communicative, c’est comme une cérémonie. On peut aussi s’en faire un petit, privé, chez soi en écoutant des disques à plusieurs, ce qui peut être extrêmement riche.

Le concert devient d’autant plus indispensable qu’avec la crise du disque – même s’il y a un renouveau des disquaires en France ! –, le concert lui-même devient un micro-magasin. À la fin, on vend les disques. Les gens les achètent, car souvent ils ne savent pas où les trouver, et en plus, ils peuvent avoir une dédicace de l’artiste.

Le segment du jazz se maintient grâce à une grande créativité et aussi une grande productivité : trop de disques sortent, mais beaucoup d’entre eux ont de ­l’intérêt.

1) Pascal Bussy est l’auteur de Coltrane (Librio), Charles Trenet (Librio), et Kraftwerk. Le mystère des hommes-machines (Éd. Camion blanc.)

Recueilli par Nathalie Lacube, La Croix  le 15/07/2017

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