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Craig Harris |
A quelques jours de l'investiture du prochain président des Etats-Unis, la communauté jazz mobilisée en appelle à un renouveau de la contestation. Tout au long de la 11e édition du Winter Jazzfest, il a autant été question de musique que de révolte et de résistance.
En empruntant la Cinquième Avenue dans le sud de Manhattan, une cinquantaine de blocs séparent la Trump Tower de Greenwich Village. Dans la tour cernée par des troupes d'élite, un président élu prépare son investiture du 20 janvier et son installation à la Maison Blanche. Mais dans le quartier concentrant le plus de clubs en ville, une colère sourd des concerts du Winter Jazzfest. Pendant les six jours que durait le festival, ce voisinage symbolisait la polarisation politique, sociale et raciale exacerbée dans l'opinion américaine.
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Brice Rosenbloom |
Le douzième Winter Jazzfest (du 5 au 10 janvier) articulait une centaine de concerts autour d'une thématique principale, « La justice sociale et le rôle de la musique ». A chaque fois qu'il est monté sur scène, le fondateur Brice Rosenbloom a justifié ce choix : « Quand nous avons débuté la programmation, nous avons reçu une vague de projets portant sur la justice sociale, l'homophobie, la xénophobie, les droits des femmes... Il était de notre responsabilité de braquer les projecteurs sur les musiciens exprimant un tel message. » Siddhartha Mitter, journaliste au Village Voice, introduisait ainsi une discussion sur le sujet : « A la fin des années 60 et au début des années 70, les jazzmen ont produit de nombreuses œuvres explicitement politiques. On retrouve cela aujourd'hui. Les déclencheurs sont multiples : guerre en Irak, ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, violences policières, élection de Donald Trump... Les musiciens ont des réponses à apporter. » Militante de l'Union américaine pour les libertés civiles, Megan French-Marcelin pose le problème plus radicalement : « Face à Mr. Fasciste (Donald Trump, ndlr), le jazz doit s'affirmer. Considérons des artistes comme Christian Scott pour ce qu'ils sont vraiment : des politiciens. » Le trompettiste Christian Scott et le saxophoniste Kamasi Washington, trentenaires, incarnent ce retour de flamme. Ils étaient absents du festival mais d'autres ont porté le flambeau.
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Samora Pinderhughes |
Le pianiste Samora Pinderhughes n'a que 25 ans. Mais The Transformations Suite, son projet qui convoque jazz, spoken word et poings levés, a marqué les festivaliers. « J'ai commencé l'écriture quand Troy Davis a été exécuté (en 2011 pour avoir tué un policier, sa culpabilité étant contestée, ndlr), explique-t-il. Ma Suite est dédiée à tous ceux qui ont été assassinés par l'Etat, par le biais du système carcéral industrialisé ou par celui des brutalités policières : Eric Garner, Kalief Browder, Sandra Bland, Rekia Boyd, Mario Woods, Ariyana Stanley-Jones et tant d'autres. Je m'inspire du travail des jeunes activistes. Je veux que ma musique, elle aussi, appelle ma génération à l'action. Nina Simone et Harry Belafonte ne se contentaient pas d'écrire des chansons : ils prenaient part aux luttes. J'espère que les artistes actuels, en plus de produire des œuvres à partir des injustices que nous subissons, seront plus directement impliqués dans le combat. » Le batteur Jaimeo Brown, 39 ans, présentait de son côté Transcendence, dont la modernité prend racine dans les work songs des esclaves. Quant au tromboniste Craig Harris, son ensemble de quarante improvisateurs a pour nom Breathe, en écho au « I can't breathe » (« Je ne peux pas respirer ») hurlé par Eric Garner en 2014, tandis qu'un policier new-yorlais l'étranglait – il mourra à l'hôpital. Citons encore les projets de Darcy James Argue, Nate Smith, Ulysses Owens Jr. ou Mike Reed, jusqu'au Liberation Music Orchestra qui, sur le front des enjeux sociaux depuis 1970, se produisait mardi soir en clôture.
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Terri Lyne Carrington |
Quand Donald Trump a été élu, Terri Lyne Carrington a pleuré. « Il y a eu le
choc, puis la colère, enfin les questions sur notre responsabilité de musiciens et d'enseignants », témoigne la batteuse qui diffuse son savoir au prestigieux Berklee College of Music. Admiratrice d'Ella Baker (« Elle m'a aidée à trouver mon identité de jeune femme noire ») et amie d'Angela Davis, deux piliers du Mouvement des droits civiques, elle aime voir les jazzmen « utiliser leur art comme des armes » : « Ce que nous traversons est inspirant et la musique est bien plus excitante aujourd'hui qu'elle ne l'était dans les années 80 et 90. » Son concert était poignant et l'album qu'elle enregistre en février sera évidemment « le plus politique ». Greg Tate, qui pilote le collectif Burnt Sugar depuis 1999, trace les mêmes parallèles : « Les questions sociales sont liées au jazz depuis Armstrong, Ellington, Parker, Monk, Max Roach, Mingus, Rahsaan Roland Kirk, Sun Ra, Coltrane, Albert Ayler, Cecil Taylor, Ornette Coleman... Ils se sont émancipés du show business en affirmant que leur rôle était de refléter l'époque à laquelle ils appartenaient. Nous sommes leurs héritiers. Depuis les émeutes de Los Angeles consécutives au passage à tabac de Rodney King (1992, ndlr), quelque chose de nouveau est en train d'émerger. »
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Raphael Imbert |
New York, sous la neige, est transie de froid. Au sommet de sa tour, Donald Trump twitte sans rien capter du grondement des clubs. Pourtant, même les musiciens français, qui se succèdent au Bitter End dans le cadre du French Quarter Festival (un festival dans le festival), chauffent le public sur le sujet. « Pour nous aussi, Français, c'est le moment de jouer une chanson anti-fasciste », balance – en anglais –
Raphaël Imbert avant d'interpréter « The Peat-Bog Soldiers » de Paul Robeson. « The Times They Are a-Changin' », chantait Bob Dylan pendant les sixties contestataires. Un demi-siècle plus tard, les temps ont effectivement changé mais les perspectives sont préoccupantes. Quelle sera, alors, la bande-son des luttes qui se profilent ? Le jeune saxophoniste anglais Shabaka Hutchings et le groupe sud-africain The Ancestors scandèrent un leitmotiv lors de leurs deux concerts intenses : « We need new hymns, we need new songs. » Nous avons besoin de nouveaux hymnes, nous avons besoin de nouvelles chansons.
Eric Delhaye, Télérama du 11 janvier 2017
Note du Webmestre: en comlément, et sur le même sujet, vous pouvez lire:
Le Jazz reprend conscience
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