Emily Loizeau revient avec un album très sensible en forme de bande originale d’une pièce musicale où elle raconte l’histoire d’une mère dépressive, Mona, bébé punk de 73 ans, sur fond de parcours intime familial.
Qui est Mona dont vous racontez l’histoire dans votre nouvel album ?
Emily Loizeau C’est un nom inventé qui a tout un tas de résonances pour moi. Comme la figure iconique et énigmatique de Mona Lisa. Il y a un mystère sur ce personnage qui me plaît. Je me suis beaucoup amusée dans cette histoire à renverser les rôles, à brouiller les pistes en me concentrant sur cet enfant qui naît vieux et passe son temps à crier comme un bébé punk déjà sans aucune illusion sur la vie. C’est une manière masquée pour moi de parler de quelque chose d’intime et de personnel que je raconte comme une fable, un conte. Je voulais transposer cette histoire réelle de prime abord tragique, glauque et désespérée de quelqu’un d’un certain âge qui rentre dans la psychose et est propulsé dans l’univers des hôpitaux psychiatriques, des diagnostics, de la chimie, etc.
Une histoire qui renvoie aussi à votre mère ?
Emily Loizeau Elle était formidable, très présente, aimante. Elle était peintre et m’a transmis des valeurs éthiques, humaines, artistiques. Petit à petit, elle a été dévorée par une psychose qui a fini par prendre toute la place. Je voulais naviguer masquée dans cette fantasmagorie, changer les rôles pour qu’on rende ça drôle et irréel mais aussi parce que je voulais la préserver. Elle est partie le lendemain de la dernière de la pièce (au Centquatre). Je voulais lui rendre hommage en évoquant cette longue traversée désertique, esseulée, qu’on peut faire en accompagnant quelqu’un qui est en déséquilibre psychique. Les institutions ont beaucoup de mal avec ces maladies qui ne sont pas limpides, où l’on rencontre des gens exceptionnels mais aussi beaucoup de gens qui sont devenus arides, déshumanisés, froids, brutaux. On se sent très seul quand on accompagne quelqu’un comme ça.
Il y a un autre destin qui vient se greffer, celui d’un marin de la Royal Navy naufragé en mer…
Emily Loizeau C’est l’histoire de mon grand-père qui a survécu à ce naufrage. Dans la pièce, je raconte ces deux vies en parallèle. Celle de Mona et de cet enfant vieux qui traverse ce bal de médecins improbable et finit sa vie en se noyant de l’intérieur dévoré par une psychose. Et une autre qui est une métaphore de la première. On se demande au fil de la pièce si finalement, elles n’ont pas un lien généalogique, historique qui lie ces deux personnages. Il y a d’un côté le présent moderne, froid, absurde. Et de l’autre le passé en pleine fracture de l’arrivée du nazisme et en même temps très lumineux, au travers de ces lettres d’amour d’un marin à sa femme qui attend un enfant et qui parlent d’espoir.
Emily Loizeau - Eaux sombres (clip officiel)
Un message d’espoir que l’on retrouve dans Eaux sombres où vous dites : « L’amour nous emportera un jour ».
Emily Loizeau J’étais en train de finir d’écrire Mona quand les attentats de Charlie sont arrivés. J’avais la sensation qu’un rideau noir était tombé. Écrire sur cette histoire, qui pourtant était profonde, devenait soudainement anecdotique. Et cette musique, ces mots sont venus. Il y a pour moi, une porosité émotionnelle. Mona en est un exemple fort. C’est un message d’espoir que j’avais besoin de formuler pour reprendre du souffle. L’amour, c’est vraiment la seule chose. C’est la sensation que j’ai eu au moment de Charlie et après le Bataclan. Tous les gens qui ont été touchés de près par tout ça, ont été ceux qui ont le plus parlé d’amour. Je crois que c’est la seule réponse, la seule chose qui doit absolument nous transpercer aujourd’hui dans tout ce que nous traversons de terrible.
Entretien réalisé par Victor Hache, Vendredi, 3 Juin, 2016 L'Humanité
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