Portrait avec lacunes d’une artiste qui navigue d’éclats en
retraits et viendra, emblématique de son ardeur contenue de silences,
illuminer la Grande Scène.
Débordante de littérature et d’inventivité musicale, Patti Smith
livre un nouvel album au terme de huit ans d’attente de son public. Elle
convoque dans Banga lunes noires et chers fantômes, oiseaux de
saint François et fresques du rêve debout que son imaginaire d’artiste
relie au monde. Voix douce parfois, ailleurs assourdie comme les
tambours sacrés qui soutiennent la révélation du mystère de la communion
des arts. Ainsi du morceau titre intitulé d’après le nom du chien
inventé par Boulgakov dans le Maître et Marguerite.
Patti Smith depuis toujours édifie cette sorte de passerelle, arpente
le blues du ciel et s’éblouit des illuminations de l’asphalte. Celles
de Rimbaud avaient bouleversé l’adolescence de cette fille d’une
serveuse chanteuse de jazz et d’un ouvrier, née en 1946, élevée dans le
New Jersey. De son propre passage à l’usine elle produira une pièce
parlée, Piss Factory, qui deviendra en 1974 l’un de ses
premiers titres chantés, enregistré en compagnie du pianiste Richard
Sohl et du guitariste Tom Verlaine. Patti avait travaillé à la chaîne
pour rompre les siennes et rejoindre la scène artistique d’avant-garde
dont l’effervescence se jouait à New York dans les années 1960. Elle y
parvient battante des pulsions primitives du rock de Little Richard, de
ses admirations pour Hendrix, James Brown, Bob Dylan ou Jim Morrison,
des contributions au rythme que s’accordent musique et poésie.
Incandescence de William Burroughs et d’Allen Ginsberg, phrasé racinaire
de William Blake, spleen de Charles Baudelaire dont elle remerciera les
étoiles du ciel de Paris lors du séjour qu’elle y accomplira en 1969
avec son ami d’amour, le photographe Robert Mapplethorpe, rencontré lors
de son arrivée à Manhattan.
Dès ce moment, Patti Smith transmute la vie en art, écrit des
articles pour des revues de rock, des pièces parlées qui la font
connaître sur la scène underground. Elle écrit également des poèmes dont
elle donne lecture, parés en 1971 de l’accompagnement musical du
guitariste Lenny Kaye. Jours de libres expérimentations, nuits de
concerts et de performances au CBGB, frissons brûlants de Janis Joplin,
orages de velours noirs et pourpres du Velvet. Depuis lors, le rock est à
Patti Smith le courant originel de la création, éclairage divin au
prisme des clignotements d’une enseigne dans une chambre du Chelsea
Hotel. Elle y a séjourné avec Mapplethorpe. De lui, la photo de l’album Horses qui
en 1975 cristallise les talents de Patti Smith et lui ouvre la
reconnaissance au plus fort. L’image de grâce androgyne à peine posée
sur l’armature fine du corps, une seule prunelle haute et sombre sous la
crinière emmêlée qui réfute les séductions ordinaires, ne la résume
pas. Elle demeure emblématique de son ardeur contenue de silences, d’une
présence dont la sensualité sourd dans les réserves ainsi que l’on
nomme les parties invisibles d’un tableau, d’une aptitude à la limpidité
à condition d’en faire le choix. La route s’est poursuivie jusqu’à
l’actuel croisement céleste.
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jeudi 12 juillet 2012
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