samedi 7 avril 2018

À Sons d’hiver, le jazz se créolise en toute liberté (L'Humanité)

Luther François
Luther François





La Cie Lubat invitant Alfred Varasse et Luther François puis Omar Sosa avec Jacques Schwarz-Bart incarnent avec force la créolisation d’Édouard Glissant.




Fara C. L'Humanité, le 2 Février, 2018


Christian Favier, président du conseil du Val-de-Marne, défend avec force Sons d’hiver, « carrefour de cultures, où création rime avec transmission et émancipation ». Les bâtisseurs antillais d’un jazz prenant en compte la richesse de leur culture – ancestrale autant que moderne – restent iniquement sous-exposés dans l’Hexagone. Ils sont insuffisamment programmés et récompensés par les divers prix. De ce point de vue, Sons d’hiver propose deux rendez-vous cardinaux. D’abord, la Cie Lubat (le 3, « Enjazzement libre »), avec le maître du tambour bélé martiniquais Alfred Varasse et Luther François, émérite saxophoniste de Sainte-Lucie. Puis le pianiste cubain Omar Sosa et le saxophoniste guadeloupéen établi à New York Jacques Schwarz-Bart (le 9, « Creole Spirits »). Cette création explorera les liens entre santeria cubaine et vaudou haïtien, dont la capacité de résistance a traversé les siècles. « Creole Spirits » et « Enjazzement libre » constituent d’éclatantes illustrations de la « créolisation » conçue par Édouard Glissant, qui, dans Traité du Tout-Monde (1993), écrivait : « J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre. »

Luther Francois - Saint Lucia Jazz Sampler



« Des artistes dont la créativité est essentielle à l’esprit de l’art »

Dans la sphère du jazz, la trop faible représentativité des artistes afro-français nécessite, comme pour les instrumentistes féminines (sous-exposées, elles aussi), une démarche éminemment volontaire, pour que la situation progresse plus rapidement. Chaque décideur doit faire de ce problème une priorité. D’autant que la valeur artistique est bel et bien là. Nous dédions cette page à Fabien Barontini, qui transmet cette année les clés à son successeur, Fabien Simon. Fondateur de Sons d’hiver en partenariat avec le conseil général en 1991, Fabien Barontini a assuré la direction et la programmation depuis la première édition. Sans céder sur la qualité, il a veillé à offrir une tribune à des artistes en questionnement, quels que soient leur genre et leurs origines.

Bernard Lubat a mené des expérimentations inclusives à l’endroit des musiques créoles, dès les années 1970 aux côtés d’Eddy Louiss, puis, au fil des ans, à Uzeste, en Martinique et ailleurs lors de chantiers enchanteurs et, à la fois, perturbateurs de l’ordre dominant. Il précise : « Édouard Glissant expliquait que la créolisation est supérieure au métissage – collage prévisible –, alors qu’elle est une interaction produisant des résultats inconnus, imprédictibles. C’est tout le sens que je donne aux travaux de la Cie Lubat et d’Uzeste musical. Pour reprendre encore les mots de Glissant, le cri du monde devient parole. »

Luther François a dirigé le légendaire West Indies Big Band, au cours de la décennie 1990. « Bernard Lubat fait partie des musiciens qui disent non à une industrie qui écarte, isole et condamne à une existence marginale des artistes dont la créativité est essentielle à l’esprit de l’art, souligne-t-il. Ces ouvriers restituent la musique à l’humanité et, en même temps, font opposition aux décideurs qui se laissent manipuler par choix ou par ignorance. » Le 3 février, on boira à la grisante eau-de-vie qu’est l’improvisation, distillée avec science et conscience par ces vignerons du swing en rhizome.

D'ici d'en bas - Bernard Lubat - Victoires du Jazz 2009 




Sons d’hiver, jusqu’au 17 février, www.sonsdhiver.org/fr. Le 3, Alfred Varasse, Luther François & Cie Lubat, « Enjazzement libre », Fontenay-sous-Bois, salle Jacques-Brel. Le 9, Omar Sosa & Jacques Schwarz-Bart, « Creole Spirits », Villejuif, théâtre Romain-Rolland.

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