Oumou Sangaré |
La chanteuse malienne présentait son nouvel album au festival 100 % Afriques à La Villette, à Paris.
Les banques, les gouvernements africains, l’Eglise et Jésus… Tout le monde en prend pour son grade. Samedi 1er avril, lors de la soirée de clôture du programme musical du festival 100 % Afriques, présenté à la Grande Halle de la Villette, à Paris, devant une salle pleine à craquer, le chanteur nigérian Seun Kuti s’étend sur les raisons de ses colères, mises en musique dans ses chansons. Trop long, trop bavard, il confond scène et tribune. En revanche, lorsqu’il redevient artiste, son vrai métier, le gaillard captive. Qu’il chante, souffle dans son saxophone, danse ou bouge avec la souplesse d’un félin.
L’impeccable Egypt 80, l’orchestre hérité de son père, Fela Anikulapo Kuti (mort en 1997), figure cardinale du son urbain africain du XXe siècle, fait tourner sans faille l’affaire : un afro-beat efficace et déterminé. La moitié des musiciens ont joué avec Fela, des recrues plus récentes complètent l’effectif. A La Villette, Seun Kuti reprend les titres de Struggle Sounds (« sons de lutte »), un mini-album (EP) coproduit par le pianiste de jazz américain Robert Glasper, paru fin 2016, chez Sony Music (le format long est attendu pour septembre), dont Gimme my Vote Back (C.P.C.D.), et African Dream, pour lequel son compatriote Keziah Jones fait une brève apparition sur scène, à la guitare.
Les lycéennes de Chibok
En ouverture de soirée, Eno Williams, l’énergique chanteuse anglo-nigériane du groupe anglais d’électro-afro-funk Ibibio Sound Machine (un deuxième album, Uyai, vient de paraître chez Merge Records/Differ-ant), avait également lancé ses propres messages, évoquant en particulier « le courage des lycéennes de Chibok », kidnappées en 2014 par le groupe djihadiste Boko Haram.L’idée d’engagement s’impose aussi pour la chanteuse malienne Oumou Sangaré qui présentait la veille, à La Villette, son nouvel album, le superbe Mogoya (à paraître le 19 mai, chez No Format !), enregistré à Paris et Stockholm, avec, entre autres, les musiciens français du trio A.L.B.E.R.T. (Vincent Taurelle, Ludovic Bruni et Vincent Taeger), réalisé par le Suédois Andreas Unge, auquel participe le batteur nigérian Tony Allen. « Depuis des années, je mène combat pour faire entendre la voix de la femme africaine », nous déclare hors scène la chanteuse, fierté de tous les Maliens, venus en masse à La Villette.
Cette ferveur hallucinante se manifestait dès la première partie de la soirée, avec Bassekou Kouyaté, le magistral rockeur du ngoni (luth traditionnel malien), et son groupe familial Ngoni Ba, qui profite de son passage pour lancer un appel en vue de trouver un appareil de dialyse pour un compatriote, au Mali. « Tout n’est pas simple », résume-t-il avec pudeur. Oumou Sangaré évoque les « moments durs que traverse le pays, ce beau pays. Mais on va se battre pour notre liberté ». La salle réagit comme il se doit.
Nous retrouvons la chanteuse le lendemain, joyeuse, chaleureuse, les lèvres peintes en bleu, sa nouvelle coquetterie. Elle commande une coupe de champagne, savoure sa vie. Sans rien oublier de ce qu’elle nomme «ma mission ».
« Quand on a la chance d’être écoutée et reconnue, il faut utiliser au maximum les possibilités que cela nous donne pour dénoncer ce qui doit l’être», répète-t-elle. Dans sa ligne de mire, les mariages précoces, la polygamie, l’excision...
Aujourd’hui, elle encourage les Maliens partis à l’étranger à rentrer, et veut mettre en place un système d’accueil à Bamako pour les jeunes qui ne peuvent pas poursuivre leurs études ni passer leurs examens dans le nord du pays, où tout va à vau-l’eau.
Depuis qu’elle s’est mise à chanter professionnellement, dans les années 1980, et s’est révélée en femme active, tout semble lui réussir. Elle possède un hôtel, récemment rénové, un autre – prêt à ouvrir dans le Wassoulou, la région natale de sa mère, dans le sud du Mali – où elle organise un festival –, un garage et un commerce de voitures, une ferme modèle. Récemment, une association de femmes maliennes lui a attribué un prix. « J’en suis plus honorée que de toutes les autres marques officielles de reconnaissance », commente la chanteuse, avant de conclure : «Les filles sont plus pugnaces aujourd’hui au Mali, et si j’y suis un peu pour quelque chose, parce qu’elles voient en moi un modèle, j’en tire une certaine fierté. »
Patrick Labesse, Le Monde du 6 avril 2017
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