mardi 4 avril 2017

Le code secret des luthiers parisiens au XIXe siècle décrypté (Le Figaro)



Un cryptologue du CNRS et un conservateur du Musée de la musique ont déchiffré la codification utilisée par les fabricants de violons il y a plus de 150 ans. Une découverte qui aide à comprendre la cote extraordinaire des Stradivarius.


«Substitution monoalphabétique». C'est grâce à cette technique de code, dont l'appellation scientifique évoque le simple fait de remplacer un chiffre par une lettre, que les luthiers du XIXe siècle arrivaient à tenir secret leurs livres de compte.

La découverte a été faite par Jean-Philippe Echard, conservateur du Musée de la musique à la Philharmonie de Paris, aidé d'un cryptologue du CNRS, Pierrick Gaudry. Pour ce faire, les deux hommes se sont plongés dans les archives du musée, plus précisément dans trois registres tenus l'atelier Gand & Bernardel, un des fournisseur de violons les plus réputés à Paris depuis la fin du XVIIIe siècle.
Code Harmonie

Il était à l'époque de rigueur de recenser les instruments vendus dans des livres de compte, en précisant quatre nombres: le prix d'achat, le prix de vente souhaité, le prix de vente réel et le prix de réserve (en-dessous duquel le luthier ne souhaite pas vendre). Souhaitant garder certains prix confidentiels pour mener au mieux les négociations avec leurs clients -ou les vols venant des employés-, les marchands et fabricants parisiens ont décidé d'avoir recours à un code à partir de 1840.

Pour le décrypter, Pierrick Gaudry n'a pas eu recours à de complexes algorithmes ou des puissantes machines qu'il utilise habituellement, mais simplement de «noircir quelques feuilles de papiers». Le chercheur remarque rapidement que les chiffres ont été substitués par des lettres, découvrant dans un premier temps que H=1 et A=2. La clé du code lui apparaît alors «comme au scrabble»: HARMONIEUX, un mot à dix lettres pour les chiffres de 0 à 9.

«C'est un mot particulièrement lié à la musique, qui fait aussi référence à la “table d'harmonie” qui est la face avant d'un violon», note d'ailleurs Jean-Philippe Echard.
Un Stradivarius à 8.000 francs

Les prix de vente de près de 2.500 instruments ont ainsi pu être décodés, quasiment du «big-data pour le XIXe siècle», se réjouit encore le conservateur. Pour les historiens de la musique, cette découverte permet de comprendre le commerce de la lutherie il y a plus de 150 ans et les cotes des plus grands fabricants, à l'instar du plus célèbre d'entre eux, Antonio Stradivari.

Le registre de l'atelier Gand & Bernardel fait notamment référence à un violon du luthier italien de 1708, le «Tua». L'instrument, qui fait aujourd'hui partie des collections du Musée de la musique, avait été acquis par Teresa Tua, une prodige du violon de 19 ans, en 1895. Pour un montant de 8.000 francs, somme extraordinaire pour l'époque.


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Jean Talabot, Le Figaro, le 23/02/2017

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