samedi 28 octobre 2017

Les Rolling Stones, rois de l'Arena (Libération)

Rolling Stones
Rolling Stones




Mick Jagger et les siens ont inauguré avec panache la nouvelle salle de Nanterre, jeudi soir, lors de la première des trois dates françaises de leur tournée internationale.







«La première fois que nous sommes venus jouer à Paris, c’était en 1964.» Formulée au débotté, le temps d’un bref temps mort, la précision ne trahit aucune nostalgie. Pas la peine de s’appesantir, du reste, avec vingt titres à enchaîner en un peu plus de deux heures de show et une priorité absolue accordée à la musique quand, jadis, certaines tournées des stades confinaient parfois au barnum avec poupées géantes gonflables et adjuvants pyrotechniques à la clé.

En 2017, les quatre Rolling Stones survivants et toujours pas désunis affichent un total de 293 années passées sur terre. Les rides ont creusé des sillons de plus en plus profonds sur les visages… Et pourtant, à une poignée d’herméneutes à la morgue ricaneuse près, le public en redemande. A juste(s) titre(s).


Plus grande salle fermée d’Europe

Jeudi soir, le plus célèbre (et plus vieux, et plus riche, et plus médiatisé…?) groupe au monde a inauguré la plus grande salle fermée d’Europe, ce qui, en matière de superlatifs, suffisait largement pour attirer les foules. De fait, la déjà fameuse U Arena de Nanterre a fait le plein pour la première fois de son histoire. Comme ce sera à nouveau le cas les 22 et 25 octobre. Même affiche, même endroit, même heure.





 Ouverture du concert No Filter 2017 des Rolling Stones à l' U Arena de Nanterre 19 Octobre 2017



Se rendre dans le venteux quartier d’affaires de La Défense ne va jamais de soi – hormis si on y travaille. L’accès de l’U Arena se révèle cependant fort simple, puisque situé à quelques minutes à pied du terminus de la ligne 1 du métro, dans l’exact prolongement de la Grande Arche. Le stade, qui refuse de s’appeler ainsi, abritera l’équipe de rugby du Racing 92 – une des meilleures du pays – mais aussi, le plus de spectacles possible, car destinés à faire bouillir la marmite. Coque de béton habillée d’écailles, l’œuvre de l’architecte Christian de Portzamparc ne cherche pas l’épreuve de force, au milieu des immeubles récents qui l’encerclent. Au contraire, vu de l’extérieur, on se surprend même à douter du fait que presque 40 000 personnes puissent y prendre en place. Jeudi, pourtant, pas un des candidats ne manque à l’appel, pour l’ouverture de la salle indoor aux fauteuils sombres offrant des conditions de confort et de visibilité conformes à l’attente contemporaine d’un public susceptible de débourser des sommes parfois très conséquentes pour voir des artistes internationaux de renom.

Défier l’épreuve du temps

Les Rolling Stones, justement. Un temps pressenti au Stade de France, où il a ses habitudes, le groupe qui ne doit plus trop savoir quel défi se lancer a choisi d’essuyer les plâtres à Nanterre. «Ça va Paname ? Bonsoir la France… J’espère que les nouvelles toilettes fonctionnent», lance ainsi le goguenard Mick Jagger, dans un français très correct (qu’il pratiquera à diverses reprises, notamment pour situer «Mélenchon à l’extrême gauche, Marine Le Pen à l’extrême droite» et, désignant la fosse, «Macron, quelque part au milieu»). Son comparse, Keith Richards, enchaînera lui plus tard, en VO, et entre deux clopes grillées telles des majeurs bravachement tendus à la science et à la génétique : «I’m trying to get used to the new room and I think it’s cool» («J’essaie de m’habituer à ce nouvel endroit et je pense que ça le fait»).




Honky tonk Woman / The Rolling Stones (U-Arena Nanterre/ Paris, 19/10/17)





Le No Filter Tour a débuté le 9 septembre à Hambourg et cette campagne européenne composée d’une quinzaine de dates va donc s’achever la semaine prochaine à Nanterre. Environ 555 000 personnes y auront assisté au total, ce qui représente un score «modeste» comparé aux antécédents. Du reste, les Rolling Stones ne briguent pas là, hormis peut-être du point de vue de la longévité, la moindre ligne supplémentaire dans le livre des records. Ce qui prévaut, en revanche, semble bien être ce désir (en apparence sincère) de défier l’épreuve du temps en un corps à corps musical dont le groupe sortirait chaque soir vainqueur, en dépit des vicissitudes (une opération pour un cancer du poumon – pour une fois que ça n’est pas la bibine qui lui joue des tours – pour le guitariste Ron Wood, en mai ? What the fuck ! Si on commence à s’arrêter sur des détails…). A cet égard, il n’est du reste pas inutile d’observer que, plus le show avance, plus le groupe (et sa garde rapprochée, avec les non moins éternels Chuck Leavell aux claviers, Darryl Jones à la basse…) donne la nette impression de se régénérer, à l’instar d’un fracassant Midnight Rambler qui, positionné aux deux tiers du parcours, laisse pantois. Mick Jagger est à peine moins véloce qu’avant, mais la voix ne trahit aucune usure significative, pas plus que les automatismes avec les musiciens ne paraissent le moins du monde érodés.

Bain de jouvence

Comme pour toutes les dates de la tournée, c’est Sympathy for the Devil qui donne le top départ sur une scène pléonastiquement rougeoyante pour l’occasion. Tantôt boogie rock tantôt bluesy, la set list s’autorise quelques allusions à Blue and Lonesome, le disque probant sorti fin 2016 dans lequel la formation paie son tribut aux vénérables aînés (Just Your Fool de Buddy Johnson, Ride 'Em On Down de Jimmy Reed). Le reste, à savoir l’essentiel, se composant de classiques maison lestement ressemelés la plupart du temps (Paint It Black, Street Fighting Man, Brown Sugar, Gimme Shelter, Jumpin’ Jack Flash…). Quatre grands écrans verticaux détaillent les moindres faits et gestes de la phalange et, hormis la qualité perfectible du son, on voit (et entend) mal ce qu’il pourrait y avoir à redire d’un tel bain de jouvence dans lequel plonge allègrement un public couvrant désormais trois générations.




Rolling Stones - Satisfaction U Arena 19/10/2017




Chaque soir, les Stones jouent également un titre censément choisi – parmi quatre proposés – par les fans (bien que le mode de scrutin nous ait totalement échappé). Pour la première des trois dates franciliennes, il s’agissait de Let’s Spend the Night Together. Un hymne luxurieux sorti en 1967, quand Jagger and Co pouvaient encore se pavaner dans l’insolence torride de leurs vingt ans et qui, entonné par des septuagénaires un demi-siècle plus tard, demeure miraculeusement crédible.

Libération, Gilles Renault, le 20 octobre 2017

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