lundi 16 octobre 2017

Dee Dee Bridgewater, égérie de la soul (L'Humanité)

Dee Dee Bridgewater,
Dee Dee Bridgewater,




Avec son CD Memphis, la diva américaine revient à la source d’un courant musical qui, avec une même passion, chante à la fois l’amour et la résistance.



Fara C. L'Humanité, le 29 Septembre, 2017
  

Voici le nouvel opus de Dee Dee Bridgewater, Memphis, collier flamboyant de treize perles soul qui nous emporte à l’époque d’une musique qui a accompagné la lutte pour les droits civiques. La chanteuse y imprime sa touche inimitable, au gré de titres popularisés par les Staple Singers, Isaac Hayes, Ann Peebles, Otis Redding, Elvis Presley, les Temptations… La panthère à l’âme tendre rend aux mélodies leur humble splendeur. Elle susurre les mots d’amour à notre oreille ou, d’un timbre raviné, distille le groove délicieusement crasseux du blues d’antan. Lors d’un concert torride cet été à Jazz in Marciac, elle nous a reçus dans sa loge et s’est confiée à nous, en toute sincérité, avec la spontanéité qui la caractérise. Entre sensibilité extrême et révolte à fleur de cœur…


Pourquoi cet opus en l’honneur de Memphis ?

DEE Dee Bridgewater Je ne suis pas revenue à Memphis avant 2014. J’ai eu besoin de retrouver la ville que j’avais quittée à 3 ans et demi, et dont la simple évocation me renvoyait au parfum et au son de mon enfance. Ma mère, qui écoutait beaucoup Ella Fitzgerald, m’a raconté que, à l’âge de 10 mois, je ne parlais pas, mais que je scattais déjà.


En effet, au Nice Jazz Festival, dans les années 1990, votre mère m’a confié que, debout dans votre petit lit, vous l’appeliez en scattant !

DEE Dee Bridgewater J’ai été tôt habitée par la musique. Mon père, Matthew Garrett, était trompettiste. Discret, il ne m’a jamais dit qu’il avait enseigné la musique à de fameux jazzmen, George Coleman, Phileas Newborn, Charles Lloyd… En enregistrant Memphis, j’ai eu envie de me replonger dans la musique que j’avais découverte, gamine, sur WDIA. Ce fut la première radio dédiée à la musique noire. Adolescente, je l’écoutais jusqu’à des heures tardives, en cachette dans mon lit. Pour que mes parents n’entendent rien et ne me prennent pas sur le fait, je calfeutrais la porte de ma chambre avec une couverture ou du tissu. Afin d’améliorer la captation, je posais une feuille d’aluminium sur les antennes du transistor, que je dissimulais sous la couverture de mon lit !


Quels artistes vous a ainsi révélés cette radio, dans les décennies 1950 à 1960 ?

Dee Dee Bridgewater B. B. King, Rufus Thomas, Big Mama Thornton, John Lee Hooker… J’ai ressenti le besoin de retourner sur les lieux de mes plus tendres années. Lors de mon séjour en 2015, j’ai été bouleversée, lorsque j’ai visité pour la première fois, grâce à Kirk Whalum, le Stax Museum, consacré à l’historique label Stax. Memphis a joué un rôle déterminant dans l’épopée de la soul.

À Jazz in Marciac, vous avez fustigé « le 45e  résident des États-Unis » , lorsque vous avez présenté Why (Am I Treated So Bad)  ?, chanson-manifeste…

Dee Dee Bridgewater Ce titre a été écrit par Roebuck à l’occasion du scandale qui a éclaté en 1957, quand neuf lycéens noirs n’ont pas pu entrer dans un lycée réservé aux Blancs. Ils ont été bloqués par des partisans de la ségrégation raciale avec la complicité du gouverneur raciste Orval Faubus, contre lequel le génial jazzman Mingus a composé le brûlot musical Fables of Faubus. La chanson Why entre en résonance avec la voix que nous avions trouvée en Martin Luther King, prônant la non-violence. Il y a tant de Noirs qui, aujourd’hui encore, sont tués à cause de la couleur de leur peau. J’ai connu l’époque de la ségrégation raciale. Chaque fois que j’apprends la mort de Noirs suite à des violences policières, j’ai mal au ventre.


Comment guérit-on de cette meurtrissure intérieure ?

Dee Dee Bridgewater Il faut accomplir tout un travail personnel, pour évacuer l’amertume qui s’empare de nous, face à une réalité inacceptable. C’est la musique qui m’a soulagée. Le public joue un rôle essentiel. C’est lui qui achète nos disques et les places de concert. Je suis chaque fois touchée par son écoute, sa fidélité. Quand des journalistes démolissent un de nos albums ou une prestation scénique, c’est le public qui nous réconforte. C’est en bonne partie grâce à vous, lecteurs, auditeurs, spectateurs, que nous progressons dans notre chemin de résilience.



Dee Dee Bridgewater, CD Memphis (Okeh/Sony). En tournée mondiale, notamment les 7 et 8 novembre à la Cigale (Paris), https ://fr-fr.facebook.com/deedeebridgewater.


Entretien réalisé par Fara C. L'Humanité, le 29 Septembre, 2017

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