jeudi 2 avril 2009

Libération: Paco de Lucía sur le qui-vive

 Un long «exil» doré dans le Yucatan, histoire de se remettre des tournées ; trois ans sans monter sur une scène ; six ans depuis son dernier disque, Luzia... La réapparition du guitar-hero d'Algésiras, installé à Tolède depuis 2003, a commencé, en juin, par une tournée en Espagne triomphale. Plaisir de jouer avec de nouveaux musiciens, virtuosité, modestie et exigence intactes : à «maestro», Paco de Lucía préfère le titre de «perfectionniste». Surtout, Francisco Sanchez Gomez (son vrai nom) abhorre l'image de la star «pathétique qui se repose sur ses lauriers et vit de ses rentes».

A 56 ans et vingt-six albums, après avoir moissonné la gloire mondiale, forcé l'admiration des plus grands (de Miles Davis à Chick Corea en passant par Camarón de la Isla), révolutionné la guitare flamenca et ouvert la voie aux Gerardo Núñez, Cañizares, Vicente Amigo...Crâne dégarni, barbe de pâtre et visage héraldique, Paco de Lucía entend tenir son rang. «J'ai toujours eu peur de me répéter. J'ai besoin de montrer que j'ai toujours quelque chose à dire avec la guitare. Sinon, je disparaîtrai. Chaque disque a été une longue épreuve, des journées entières à me creuser, l'angoisse de ne rien proposer de neuf.»

Tourment. Cositas buenas ne fait pas exception. A l'image de ses albums les plus personnels, Almoraima (1976), Siroco (1987) ou Ziryab (1990), ce nouvel album a valu au guitariste de longues heures de tourment en studio. Bien que ponctué de morceaux très rythmés (bulerias, tangos, rumbas...), Paco espère «lui avoir donné cette profondeur sans quoi le flamenco se fourvoie, et avoir répondu aux attentes...». Cette peur, au fond, d'être aveuglé par le concert de louanges qui l'accompagne partout et ne facilite pas le jugement objectif sur lui-même. D'où, selon lui, la nécessité de la scène. «C'est l'épreuve de vérité. Après une si longue absence, cela m'a demandé beaucoup d'efforts de redonner des concerts. Physiquement, c'est épuisant. Mais cela ne ment pas.»

La semaine dernière, Paco de Lucía a reçu le prix «prince des Asturies» pour les arts, la plus haute récompense espagnole. Il ne boude pas son plaisir. Cette reconnaissance, il sait ne pas l'avoir volée ­ «Je ne dois mon succès qu'à moi-même» ­, mais il n'est pas dupe : son pays, qui tresse des lauriers à une icône, continue de prendre de haut le flamenco. «Cela a un peu évolué ces derniers temps mais historiquement, le flamenco a été maltraité en Espagne. Au Brésil ou à Cuba, pays d'une richesse musicale extraordinaire, les artistes ont le même problème : les gens, surtout les classes moyennes et hautes, ont honte de leur folklore.» Ce qui fait courir Paco, plus que l'argent et la renommée, c'est la cause de cet art : «Le flamenco est l'un des genres musicaux les plus sophistiqués et exigeants.»

Etendard. Humble mais sans fausse modestie, l'artiste adulé se sent «responsable», n'ignorant pas que, pour une génération se réclamant de lui, Paco de Lucía a été le meilleur étendard du flamenco, celui grâce à qui les salles de concerts se remplissent. Comme il le rappelle lui-même, il n'a pas oublié ses origines. Celles du fils d'un tocaor (guitariste) d'Algésiras qui jouait des nuits entières «pour se payer un petit déjeuner» et qui obligeait son fils à se torturer les mains sur une guitare pendant douze heures d'affilée. Celles, aussi, d'un payo (non-Gitan) qui a eu l'immense avantage d'absorber naturellement les rythmes flamencos : «Ma chance a été de vivre et penser comme eux.»

François MUSSEAU le 26 octobre 2004

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