dimanche 22 avril 2018

Musique. Généreux legs d’un génie insoumis, Hugh Masekela

Hugh Masekela
Hugh Masekela



Avec Masekela 66-76, nous suivons, sur ses dix dernières années, le riche parcours du regretté trompettiste sud-africain.


Fara C. L'Humanité du 06.04.2018





Riche illustration du legs laissé par le regretté trompettiste sud-africain, le triple CD digipack Masekela 66-76 arrive à point, tel un baume sur notre cœur. Pour la première fois sont réunis 11 albums (datant de 1966 à 1976). Dans le captivant livret, nous en suivons l’histoire pas à pas, grâce aux commentaires de Stewart Levine, producteur et ami de « Hughie ». Avec lui, Masekela a réalisé cette compilation, minutieusement, passionnément, peu avant sa mort.

The Emancipation of Hugh Masekela (1966) dit clairement, par son titre, le sentiment du citoyen Masekela. Exilé aux États-Unis en 1960, le trompettiste, chanteur, auteur et compositeur n’a cessé de lutter contre l’apartheid et a rejoint le Mouvement des droits civiques. « Il s’est produit en 1966 au festival de Watts, qui a marqué l’anniversaire des révoltes des quartiers noirs de Los Angeles, survenues un an plus tôt », écrit Levine.

Une arme pacifiste contre l’apartheid

Hugh menait sa résistance avec une détermination d’airain, une soif de vivre et une alacrité têtue. « Parce que nous n’allions pas faire plaisir aux barbares de l’apartheid et à leurs acolytes occidentaux en ayant le moral en berne, me rappelait-il en 2013, au festival Jazz des cinq continents de Marseille. À l’instar de Fela Anikulapo Kuti, j’ai toujours considéré la musique comme une arme, pacifiste certes, mais bel et bien une arme. »

Le disque Masekela - Introducing Hedzoleh Soundz (1973) a été enregistré à Lagos, lors d’un séjour chez Fela, qui lui avait recommandé le groupe ghanéen Hedzoleh Soundz. Avec celui-ci, Hugh a gravé une autre galette (I Am not Afraid, 1974), aux États-Unis cette fois, avec la participation de Stix Hooper et Joe Sample (des Crusaders). Au fil de Masekela 66-76, on croise de fameux musiciens : ses compatriotes exilés Caiphus Semenya, Letta Mbulu, Dudu Pukwana (le Charlie Parker sud-africain), les Américains Larry Willis (piano), Al Foster (batteur de Miles Davis), Eddie Gomez (contrebassiste du mythique pianiste Bill Evans) ou encore l’incomparable accordéoniste brésilien Sivuca. ­Masekela s’est forgé un style unique, mêlant intimement jazz, R’n’B et funk avec ses racines – les euphoriques marabi et mbaqanga. On retrouve ses classiques, comme Grazing In the Grass (tube planétaire en 1968), ou ­Stimela, émouvant hymne aux mineurs noirs exploités jusqu’à la moelle par l’apartheid.

Pleins feux sur l’Afrique

Deux autres publications apportent un éclairage significatif sur Masekela. Comme musicien, il joue dans le délicieux double CD de Paul Simon, The Concert in Hyde Park, un live capté en 2012 pour lequel le chanteur américain avait invité Jimmy Cliff et rappelé des complices sud-africains, notamment Hugh, de son disque Graceland (1986).

C’est en producteur, toujours avec la connivence de Stewart Levine, que ­Masekela a contribué à l’incontournable double CD Zaïre 74 – The African Artists, qui braque les feux sur les artistes africains (Rochereau, Abeti Masikini Franco…), invités à l’historique festival Zaïre 74, organisé par Masekela lui-même (avec Levine) à l’occasion du combat entre George Foreman et Muhammad Ali. En 1989, il avait confié à l’Humanité : « Soutenir les artistes vivant en Afrique et souvent négligés du show-biz international, c’est aussi un de nos devoirs. » Et l’on réalise que nous manque tant le génie généreux de Hughie…

https://www.humanite.fr/musique-genereux-legs-dun-genie-insoumis-hugh-masekela-653287

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