vendredi 9 mars 2018

Marc Perrone capte le bruit du monde par petites touches

Marc Perrone
Marc Perrone
 
 



Musique. Son nouvel album, Babel-gomme, s’écoute en boucle. L’accordéoniste nous parle du temps qui passe, des enfants qui jouent et de la vie à trois temps et à mille temps.






«La première qualité d’un musicien, c’est l’écoute », dit souvent Marc Perrone. Ce que l’on pourrait prendre pour de la réserve, de la timidité, derrière ce regard qui brille et ce sourire contagieux, n’est rien d’autre que ça : le goût des autres, du petit monde qui tourne et retourne. Un ça qui en dit long sur notre bonhomme, sur sa générosité, son humilité, sa gentillesse et son talent. La pudeur, aussi, qui caractérise l’artiste, qui nous fait oublier, par sa musique et sa poésie, la douleur et la maladie qui le rongent.

Accordéoniste hors pair, Perrone sait combien le diatonique est capricieux. Petit mais coriace à la manip’, l’instrument souffle, s’étire, couine, inspire à gauche, expire à droite. C’est dans cette respiration que naît la musique, ou plutôt qu’elle s’échappe. Une musique vivante s’il en est.

Perrone y a goûté tout jeune quand, à la Fête de l’Huma, il entend pour la première fois des musiciens cajuns. Coup de foudre, envoyez la ritournelle ! Il aurait pu faire Johnny, il sera Perrone. Il choisit l’accordéon. Ou bien est-ce l’accordéon qui le choisit ? Une aventure qui le mènera du folk au jazz le plus free, le plus fou, du cabaret aux baloches, allers-retours incessants entre la France et l’Italie, La Courneuve et Uzeste, des salles de théâtre aux salles de cinéma. Marc Perrone écrit, joue et fredonne pour ses amis, et le cercle des amis de Marc ne connaît pas de limites. Qui sifflote s’implique, aime-t-il à dire. Ses mélodies se sifflent comme elles se chantent, elles filent entre les lèvres.

C’est à La Courneuve, à ciel ouvert, au pied des 4000, que le fils de rital fait ses premières gammes comme d’autres font leur conservatoire. Piano du pauvre ou piano à bretelles, Perrone s’en joue. Son instrument souffle de la vie, il réveille les dimanches à la campagne, au bord de l’eau, non loin du canal d’Aubervilliers, sur le Quai des Vertus. On y trouve tout ça et bien plus dans Babel-gomme, le nouvel opus de Marc Perrone. Des mélodies toutes neuves et des anciennes aussi. Des amis : Gilles Apap, Marcel Azzola, Jean-Luc Bernard, Marie-Odile Chantran, Jacques Di Donato, Bernard Lubat et André Minvielle, discrets mais bien présents, ici ou là. On y entend Marc Perrone chanter comme un murmure, mezza voce, des histoires d’hier et d’aujourd’hui, souvenirs d’enfance dans les Jardins du Luxembourg ou Rue Lucienne. Surgissent également quelques impros à couper le souffle (la Voix des anches, instrumental étonnant venu du fond des âges). Le blues est là aussi, qui dit l’âpreté de la vie, et la valse, qui caresse le secret de l’amour et des larmes, des corps qui s’enlacent et des soupirs imperceptibles.


Des histoires qui font rêver toutes ailes déployées

Avec son accordéon, Perrone capte le bruit du monde, devine ses plus petits bruissements et fait naître des mélopées entêtantes comme le désir de vivre. Une musique qui roule mais ne plie pas. Pour ne pas oublier, surtout pas, jamais. Les étrangers d’aujourd’hui rappellent la destinée des étrangers d’hier : celle de ses parents, débarqués à Paris, sans le sou, ne sachant pas un mot de français, fuyant l’Italie fasciste. L’Histoire ne se répète pas. Parfois, elle bégaye. Des repas familiaux le dimanche, de cette enfance, comme autant de traces de vies, naît le répertoire de Marc Perrone. Un répertoire populaire de chansons d’ici et de là-bas. Des chansons comme des histoires reprises en chœur autour de la table, par cœur, qui nous rappellent d’où l’on vient. Des histoires qui font rêver et déploient leurs ailes comme autant de séquences filmées projetées sur nos vies. Il suffit de fermer les yeux, juste un instant : sentez ces paysages qui défilent, écoutez le tac-tac du train qui file entre ces collines qui s’étirent à perte de vue ; entendez ce ruisseau qui coule tranquillement et ces cris d’enfants qui s’envolent comme des moineaux tandis que des jeunes filles en fleurs s’allongent pour observer les nuages les yeux mi-clos… Le premier morceau est une invitation « à profiter des paysages qui s’offrent à nous », à « tracer sa route, entre les gouttes »…

Marie-José Sirach, L'Humanité, le, 5 Janvier, 2018


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