Abou Diarra
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Voyageur opiniâtre, le maestro de la harpe-luth malienne clôt le festival Africolor, le 24 décembre, à Montreuil
Cinq mois et vingt-six jours. C’est le temps qu’il a mis, adolescent, pour parcourir à pied la distance séparant Abidjan de Bamako. Plus de 1 000 kilomètres. « Quand on veut, on peut ! » L’adage peut agacer. Pas Abou Diarra. Lui est du genre pugnace. C’est presque une manière d’être à la vie chez ce chanteur-auteur-compositeur, maestro du kamélé n’goni, une harpe-luth traditionnelle utilisée dans le sud du Mali, dont il fera résonner les cordes lors de la soirée de clôture du festival Africolor, le 24 décembre, à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Pour mesurer la ténacité du bonhomme, il suffit d’écouter son histoire. Il nous en a retracé les grandes lignes, à Paris, où il vit depuis 2010, avec le talent du conteur qui sait donner à chaque détail son importance. Nicolas Repac, le guitariste et bricoleur savant de samples (« Un sorcier !», dit de lui Diarra), directeur musical et arrangeur de Koya, l’épatant nouvel et quatrième album paru en France d’Abou Diarra, l’avait précédéquelques minutes plus tôt.Le temps suffisant pour dire tout le bien qu’il pensait de ce musicien.
Il l’a découvert une nuit, par hasard, en fouinant sur MySpace. «Je lui ai envoyé un petit mot pour lui dire : “C’est beau !” Je n’ai pas eu de retour... Mais voilà, on s’est trou-
vés. Il faut croire au destin. On finit toujours par rencontrer les gens que l’on doit rencontrer.»
Abou Diarra lui a tout raconté sur la grande famille des n’gonis.
Le dozo n’goni, l’instrument des chasseurs, le kamélé n’goni, dit le n’goni «des hommes jeunes », le djeli n’goni, ou n’goni des griots, celui dont jouait le formidable Malien Moriba Koïta, décédé le 22 septembre. «Abou, c’est un virtuose époustouflant, poursuit Repac. Il joint tout ce qui est ancestral à la modernité. » « C’est un excellent musicien et chanteur, nous dira en écho, plus tard, Vincent Bucher, l’harmoniciste remarquable qui a participé à l’album. Calme et déterminé.»
Le talent sûr du kamélé n’goni nous déroule son histoire: «Je suis né en 1975 à Sanankoroni, un village dans la région de Sikasso, à 400 kilomètres au sud de Bamako.
Mon père était un guérisseur et féticheur réputé. Ma mère chantait dans les mariages, les baptêmes. Elle m’emmenait avec elle. Quand mon père est décédé, je suis parti en Côte d’Ivoire.»
Sept ans d’apprentissage
Il travaille longtemps dans les champs de café et de cacao. Et ne reçoit pas un sou. Dépité, il rejoint Abidjan, la capitale. «J’errais dans les rues quand j’ai entendu le son d’un n’goni. C’était le grand maître Yoro Diallo. Et, ce jour-là, je me suis dit : pourquoi ne pas devenir joueur de n’goni, moi aussi. Je lui ai demandé: “Apprends-moi!” Il partait à Bamako le lendemain, mais m’a donné l’adresse d’un de ses élèves à Abidjan. En un an, j’ai été capable d’apprendre à jouer un seul morceau. Découragé, je me suis dit : peut-être que Dieu n’a pas voulu que je sois joueur de n’goni.»Diarra décide de rentrer au Mali.
Par la route et à pied. Dans la rue, il croise un homme avec un n’goni à l’épaule. Il lui raconte son histoire.L’autre, touché par son récit, lui dit: «J’ai deux n’gonis, je t’en donne un. » Abou Diarra prend la route du Mali et se met à marcher. «Je jouais dans les villages, on me donnait quelques pièces, de l’eau, à manger. Je dormais au bord du goudron. Des chauffeurs me proposaient de me prendre. Je refusais.
J’avais pris la décision de faire la route à pied, je devais y arriver. »
Parvenu à Bamako, épuisé, il se met en quête d’un maître de musique. On lui parle d’un musicien aveugle, Vieux Kanté, virtuose réputé et très créatif du kamélé n’goni. «Il m’a gardé sept ans avec lui. En échange, je m’occupais de la maison, je l’aidais à se déplacer. »
Vieux Kanté meurt prématurément en 2005 – un album posthume du musicien, auquel a participé Abou Diarra, vient de paraître sur le label anglais Sterns (distribué en France par Harmonia Mundi/Pias). Abou Diarra commence sa carrière solo. Avec l’idée fixe de faire un jour un disque avec ce musicien entendu sur les albums de Mamani Keïta, à Bamako. Il l’a pisté longtemps et a fini par le trouver. « Le destin!», dirait l’intéressé, Nicolas Repac.
«Volonté et persévérance », pourrait rectifier Abou Diarra.
Patrick Labesse, Le Monde du 24 décembre 2016
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