Fière Lady, rebelle et sulfureuse, Billie Holiday a brûlé par les deux bouts sa courte vie, débutée en 1915. Sa musique était un cri, surgi d'une enfance écorchée et de sa lutte acharnée contre le racisme. A l'occasion du centenaire de sa naissance, sort une version intégrale des sessions d'enregistrement de "Lady In Satin", son chef-d'œuvre ultime.
New York, 1939. Le public du Cafe Society, à Greenwich Village, est plongé dans l'obscurité. Le projecteur cadre le seul visage de Billie Holiday. Elle reste immobile. Alors s'élève cette voix douloureuse qui chante les corps noirs balancés dans la brise sur les arbres du Sud, ces étranges fruits pendus aux peupliers, yeux exorbités et bouche tordue. Les corbeaux les déchirent ; le soleil pourrit cette amère récolte. « Strange fruit. » Personne, jamais, n'a chanté un lynchage. Le public, Blancs et Noirs mêlés, reste saisi, silencieux. Puis applaudit, se réveillant d'un rêve ambigu de beauté et d'horreur. Billie Holiday n'a pas chanté cette chanson sur un ton de protestation politique ; elle l'a chantée de toute son âme, noire, fière, solidaire.