Lors de l’excellent 40e Jazz in Marciac, le maître rythmicien franco-congolais et le fort en thème né à Washington ont embrasé l’Astrada. Le duo est attendu à Jazz à la Villette.
Fara C. L'Humanité, le 18 aout 2017
Le 40e Jazz in Marciac s’est avéré un cru savoureux. Belle place a été accordée à des alpinistes de la note bleue. Avec eux, hors des sentiers battus, on a gravi les verdoyants versants de la créativité. Parmi ceux qui ont enchanté l’immense chapiteau (d’une jauge de presque 6 000 places), on retiendra entre autres le nouveau quintet de Herbie Hancock, le Cubain Chucho Valdés et sa rare accolade musicale avec Kenny Garrett (ancien saxophoniste de Miles Davis), le quartet Circles d’Anne Paceo, Émile Parisien et ses invités : Joachim Kühn, Vincent Peirani et Michel Portal… Quant aux grimpeurs de groove vertigineux qui se sont distingués à l’Astrada (500 sièges et une superbe acoustique), ils comptent en leurs rangs le duo de pianos formé par Ray Lema et Laurent de Wilde, qui se sont produits à guichets fermés (il a même fallu refuser du monde).
Le premier a vu le jour au Zaïre et le second aux États-Unis. Établis en France, ils espéraient jouer ensemble depuis vingt-cinq ans. Leur premier album, Riddles (« énigmes »), dont ils ont cosigné quasi toutes les pièces, illustre avec force leur complémentarité. Ils bondissent d’un reggae entraînant à un hommage à Bach, d’un ragtime replanté en forêt tropicale à un blues aux fragrances sahéliennes…
Ray Lema Quintet Anikulapo
« Son jeu donne l’impression d’entendre tout un orchestre »
À l’Astrada, durant la balance sonore précédant le récital, il est fascinant de les voir tester tour à tour, en vue de leur face-à-face musical, les deux Yamaha encastrés. « Chaque piano possède une personnalité différente », souligne Ray Lema. Dans cet échange de sièges – rituel effectué sans mot dire –, il y a quelque chose de beau et mystérieux, comme une télépathie unissant les deux grands esprits. « Chaque fois, Laurent et moi trouvons, sans avoir besoin de nous parler, l’instrument qui nous convient. » De Wilde ajoute : « Il ne nous est jamais arrivé de vouloir le même piano. »Ce que l’ancien directeur musical du Ballet national du Zaïre (contraint à l’exil en 1979, sous la dictature de Mobutu) aime, chez son complice, outre une complexité harmonique non pas absconse, mais solaire, c’est « son écoute acérée et le véritable dialogue que cela nous permet de conduire ». Il précise aussitôt : « Et, aussi, sa culture, sa grande conscience. » De son côté, le normalien Laurent de Wilde, lauréat de l’Académie du jazz et des victoires du jazz, admire en son aîné « un swing monstrueux ». « Son jeu donne parfois l’impression d’entendre tout un orchestre et, quand on le regarde, à peine trois doigts bougent : une leçon essentielle qu’a donnée Thelonious Monk dans le passé et que Ray résume magnifiquement. » D’ailleurs, vingt ans après son livre qui a remporté un succès mérité (Monk, 1997, en poche), Laurent de Wilde consacre enfin un disque au légendaire pianiste qui a révolutionné l’instrument. Son CD, New Monk Trio (à paraître le 13 octobre chez Gazebo/L’autre distribution), révèle une approche radicalement inventive et sensible du répertoire de Monk.
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