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jeudi 16 mars 2017
«Babel Med est pour un public nombreux et non folklorisé» (Libération)
Codirecteur du festival marseillais, Bernard Aubert détaille les ambitions de cette treizième édition et pourfend l’étiquette «world music».
Du 16 au 18 mars, se tient à Marseille la treizième édition du Babel Med Music, forum international de world music, qui convie professionnels et amateurs à venir écouter des artistes du monde entier, mais aussi des conférences, débats, rencontres, films… L’occasion de faire le point avec l’un de ses deux directeurs, Bernard Aubert.
Avant de créer Babel Med, vous aviez déjà beaucoup œuvré sur le terrain des musiques du monde à Marseille, notamment avec la Fiesta des Suds. Que représente cette ville, justement, en matière d’ouverture aux mondes ?
La Fiesta des Suds va fêter son 26e anniversaire en octobre. A Marseille, 90 % des projets sont nés autour de 1992 : la Friche Belle de Mai, Lieux publics, décision de la création du Mucem, etc., sous l’ère du maire Robert Vigouroux. Pendant quelque temps, cette ville avait oublié ses maux : clanisme, confiscation du pouvoir entre les mains de quelques-uns, partage de la ville en deux, soumission à une poignée de groupes immobiliers, etc. Et le secteur culturel en a profité. La Fiesta des Suds est une photographie de notre ville populaire et festive, branchée et patrimoniale. Tous les lieux de notre événement sont des espaces chargés d’histoire. Aujourd’hui, nos festivals ont lieu dans une ancienne réserve de sucre de l’océan Indien [ 9 000 m 2 dans l’espace portuaire, ndlr ]. Marseille est aussi le résumé en crise du monde actuel. Des dizaines de communautés y sont présentes parmi les 900 000 habitants, comme par exemple 85 000 Comoriens. Le soleil est pour tous mais la richesse est ségrégationniste. Pourtant notre ville fonctionne par l’économie souterraine, un fort contingent de fonctionnaires et un reste de bourgeoisie commerçante. L’OM, la Fiesta des Suds, la mer, en sont des totems fédérateurs d’appartenance. Les républiques se sont toutes construites comme cela.
Une manifestation comme le Babel Med a-t-elle permis de structurer la scène locale, de faire naître des salles, des programmations, à l’année ?
Babel Med Music est un marché-festival ouvert au public et les centaines de directeurs artistiques et tourneurs au Babel écoutent, regardent, se promènent avec les sons d’ici. C’est une magnifique vitrine internationale pour les musiques. Les organismes régionaux se sont enfin structurés pour devenir des bureaux export de cette musique en région, comme ont su le faire les Catalans, les Bretons, les Wallons ou les Sud-Coréens. Plus de 40 salles et clubs de musique existent à Marseille et aux alentours : cette force ne demande qu’à se montrer et Babel Med Music est là pour les valoriser. Historiquement, Marseille est passé à côté de sa scène hip-hop, tout comme elle pourrait rater sa scène electro. Elle manque d’énergie pour soutenir d’autres bijoux que sont Siska ou la Cie Rassegna. Notre travail consiste à mettre ces musiciens en contact avec l’international, organisateurs et festivals existants.
Vous aviez accueilli une édition du Womex, le grand marché de la world music drivé par des opérateurs plutôt de l’Europe du Nord, qui s’est plus ou moins bien déroulée. Qu’est-ce qui vous différencie ?
Plusieurs différences avec eux sont réelles : chez nous, nous privilégions l’artistique, un jury choisit les musiciens programmés. Pour Babel Med Music 2017, nous avons sélectionné 30 projets sur 1 700 propositions, tous les musiciens sont rémunérés au minimum syndical et nous prenons en charge tous leurs frais. Tout ça nous permet de ne pas nous soumettre aux diktats des tourneurs ou grands producteurs internationaux. Commercer, oui, mais sur des critères artistiques avant tout ! Enfin, l’accueil convivial des participants est réel et participe au succès et à la manière de présenter les musiques : anis et champagne plutôt que rhumatisme et protocole…
Vous travaillez à la création d’une réunion de plusieurs marchés «sudistes» avec Visa For Music, Iomma et l’Atlantic Music Expo, afin de «préserver la diversité musicale». Pensez-vous que ce segment, où il s’est murmuré que le monopolistique Live Nation souhaitait également opérer soit menacé ?
Nous travaillons au rapprochement de plusieurs marchés en collaboration avec la Sacem : Afrique du Nord, océan Indien, Atlantique et Europe du Sud sont les priorités. Le monde de la musique évolue comme l’économie mondialisée. De plus, la crise du disque et le rachat de bon nombre de festivals et de salles de concerts nous imposent de nous coordonner. Le spectacle vivant est l’un des derniers refuges pour les artistes mais aussi un juteux marché pour les Live Nation et consorts… Si nous ne voulons pas devenir «la niche indianisée» de ce nouvel ordre, il est vital de nous coordonner, de nous différencier et d’apparaître sur le monde des musiques.
La world music fut un secteur très prometteur, voire porteur… Depuis dix ans, on assiste à un net recul. N’est-ce pas la conséquence d’un genre fourre-tout, où tout et son contraire cohabitaient, au risque que l’auditeur n’y comprenne plus rien ?
La world music est une invention. Par exemple le rayon musiques du monde d’un grand magasin de New York a comme représentation de la France Yves Montand et Edith Piaf, c’est dire ! Mais cette appellation reste pour certains distributeurs une formidable «niche» pour évacuer les musiques d’autres pays, celles qui témoignent d’une identité forte. Pour nous, l’un des enjeux d’avenir est de promouvoir une musique permettant de jouer ou chanter des sons parlant de soi, de son pays, de sa langue, audible par un public nombreux et non folklorisé. Si «la musique est un son qui pense», montrons-le, sinon nous écouterons tous dans un avenir proche les mêmes arpèges !
Jacques Denis Libération du 13 mars 2017
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