mardi 11 octobre 2016

Thomas Dutronc au Cirque d’Hiver, comme à la maison (Le Monde)



40e anniversaire du Festival d’Ile de France : programmé du 23 au 25 septembre, pour deux soirées et une matinée au Cirque d’Hiver Bouglione, Paris 11e, Thomas Dutronc joue Monsieur Loyal avec autant de loyauté que de charme. En toute décontraction, style studio, fond de cave avec les potes en sirotant des grenadines. Comme à la maison.

Le Cirque d’Hiver – ses velours rouges, ses ors, ses aigles impériaux, ses lumières, ses loges, sa ménagerie, son foyer –, lui va comme un gant. Guitare accompagnement, Jérôme Ciosi, fils d’Antoine, le grand chanteur corse. Contrebassiste, David Chiron, l’arrangeur du poème d’Aragon présent dans l’album Eternels jusqu’à demain. Avec deux guitares de plus et un violon, on tient la formation du Quintet du Hot-Club de France (Django et Grappelli). On en dénombre un millier dans le monde. On n’est pas pour autant dans la magie du modèle. Dutronc le sait.

Django Reinhardt, ange tutélaire de la fête

Ouverture en tempo medium pour tâter l’eau du bain, Are You in The Mood (Django Reinhardt). Pierre Blanchard, violon, règne en maître sur la soirée. Phrasé, justesse, mise en place, goût, furia dans les impros, un sans faute. Autre invité de luxe, Rocky Gresset (guitare) patiente dans l’ombre. Il aura son tour. Thomas Dutronc sait s’entourer. Immense qualité. Sur le pont du deuxième morceau, Billet doux, toujours de l’illustre manouche, le tempo double et s’emballe. Le public aussi. Toujours plus facile de jouer vite.

Ange tutélaire de la fête, Django, prince des manouches, ces tziganes du nord du Bassin parisien ou d’Alsace dont Biréli Lagrène est aujourd’hui le héros. Thomas a fait ses classes avec Biréli. Ça ne rigolait pas. On murmurait son nom. Il n’était pas encore Thomas Dutronc. À l’époque, il ne tenait vraiment pas à prendre de chorus. Il se planquait gentiment au second plan et se pliait à l’impitoyable école de la pompe, le battement rythmique des manouches.

Tous les soirs, tout à trac, Biréli et Hono, son volumineux accompagnateur, se tournaient vers le petit Dutronc avec le sourire, vas-y, c’est à toi. Biréli et Hono servaient alors une des plus belles pompes de l’histoire manouche. En nage, Dutronc faisait ce qu’il pouvait. « Fils de », peut-être, mais plié à un apprentissage à la dure.

Au Cirque, Thomas Dutronc présente partenaires et pièces avec simplicité, le temps des vannes à deux balles sera pour plus tard. Hommage rendu à Django, il passe à son propre répertoire : Je m’fous de tout. On s’est vite habitué à ces historiettes qui n’ont l’air de rien (Aux dernières nouvelles / La vie est belle). Elles feignent de raconter l’apéro, le goût du jour qui vient (La nostalgie j’en ai soupé / Vous aussi), les drôleries (Chuis qu’un danger pour mon foie), tout en nonchalance, tout en légèreté. Pourquoi songe-t-on à cet auteur incitable : « Nul, jamais, n’a su, à quel point j’aurais pu être malheureux moi aussi – si j’avais voulu. »


Thomas Dutronc - J’me fous de tout (Live Manouche à Ferber)


Le plaisir de jouer entre musiciens

Rocky Gresset, électrique, prend une longue intro subtile que toute la troupe rejoint. Nouvel ami, nouveau venu, un machiniste DJ Pierre Boscheron. Il lance, bruits de surface inclus, une version historique de Nuages avec laquelle l’orchestre converse. Retour à la chanson adornée de bruitisme comique ou narratif (Boscheron), Viens dans mon île … Tiens, qu’est-ce qu’on disait : « …mon illusion tranquille / Dans le jardin j’ai tué les nains / En douce en coulisse / Un chagrin se glisse / Sans toi dans ma maison / Il pleut dans ma chanson. »

Entre Aurore Voilqué, violoniste, « petite fleur du Caucase » plaisante le maître de cérémonie. Énorme ouverture façon restaurants russes (un genre en soi), les deux violons (Blanchard est de retour) se lancent dans une course-poursuite pour rire, les fameux « chases » de la grande époque. Émulation et non élimination, comme croient les demis-niais.

J’aime plus Paris – qui est devenu tout naturellement un tube, se greffe là-dessus, sans que l’on comprenne bien comment tournicote ce tourbillon qui n’a rien à prouver. Le plaisir de jouer entre musiciens.

Thomas Dutronc - J'aime plus Paris




Si fait que l’irruption de Michel Portal, humble, ouvert à tout (« 18 ans à l’envers », note Dutronc en applaudissant) semble la chose la plus naturelle du monde : Manoir de mes rêves (toujours Django) à la clarinette basse, avec l’orchestre. Suit le poème doux-amer d’Aragon où Portal donne sa pleine mesure : « Tout est affaire de décor / Changer de lit changer de corps ». Et pour parapher cette séquence du groupe au grand complet, un blues à l’amiable en forme de « bœuf » qui ne devrait pas rester dans les annales de Chicago.

En revanche, le Vech A No Drom de Ninine Garcia, glané 122 rue des Rosiers à La Chope des Puces de Saint-Ouen, a de la gueule, avec son mixage de clarinette basse, de guitares, de violons et d’effets électroniques (Boscheron). Changement de décor à vue avec Raoul (Chichin), cependant que les trois quarts de l’effectif se retirent.

Des reprises de rocks anciens

Dutronc et Raoul, ainsi le nomme-t-il, attaquent en présence de la rythmique, Sleep Walk, sur un bon vieil anatole des familles (suite d’accords qui, le plus souvent ne visent pas à se casser la nininette) : au fait, pourquoi ne cherche-t-on plus à tricoter des « slows de l’été » ? Là, avec leur Sleep Walk façon Shadows, ils en tiennent un cousu main. Après quoi, bondissant d’un triple salto arrière bien en-deça de leurs parents respectifs, Dutronc et Chichin s’offrent le plaisir gamin des reprises de rocks anciens. Mystère.

Final avec toute la troupe, comme il sied chez Bouglione. Rappels pleins d’allégresse, même sur des Triplettes de Belleville un peu poussives. Fidèle à Django, Thomas Dutronc souhaite toucher le grand public. Il y réussit avec classe et sens de l’amitié. Ou comment changer un vrai don sans relief, en talent éclatant.

Thomas Dutronc - Les triplettes de Belleville



    Francis Marmande, Le Monde le 26.09.2016

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