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mercredi 14 mai 2014

Gunnar Jansson, frère de blues (Libération)

ROCK: Le dandy suédois multi-instrumentiste sort discrètement son deuxième album.





Une silhouette de dandy, une mèche rebelle, un visage poupon et une bouche qui se déforme sous la torture du blues qui l’habite. Bretelles et pantalon trop court, Bror Gunnar Jansson ôte toujours ses chaussures en arrivant sur scène, avant de s’installer devant un attirail taillé sur mesure. Rien de clinquant. Une guitare électrique «pas chère» sur laquelle figure une inscription au Dymo collée en haut du manche : «Death where they sting» («La mort où elles piquent»). Une ficelle est attachée au manche pour pouvoir l’accrocher à son mur. «Pas de Gibson ou de Fender, je n’aime pas ces sons-là.» Pour lui, les groupes de référence seraient plutôt «National et Harmony».

Triptyque. Sur scène, Bror rentre dans la peau d’un homme-orchestre en utilisant son étui de guitare, sur lequel il a placé une pédale de grosse caisse, mais aussi une caisse claire, un charleston bricolé et, derri

Originaire de Lerum, petit village du nord de Göteborg, le jeune homme de 27 ans est né dans la musique, puis bercé au blues, avant de faire tout le trajet seul vers les origines d’un style qui lui arrache les tripes. «A 12 ans, mon père contrebassiste m’a fait écouter des enregistrements de Muddy Waters, de Howlin’ Wolf et bien d’autres. Puis j’ai commencé à chercher dans l’histoire de la musique américaine, des mountain ballads, dans le gospel… J’y ai trouvé des raretés, mais aussi des grands noms comme Charley Patton ou les Staple Singers, dit-il. Mais j’ai dû m’arrêter vers les années 20, faute d’enregistrements.»

L’influence du père, avec lequel il joue toujours au sein de la formation Serves You Right to Suffer, en hommage à John Lee Hooker, va guider les pas du fiston. Haut comme trois pommes, Gunnar Jansson utilisait déjà le violoncelle familial comme une contrebasse. A 10 ans, il opte pour le saxophone puis la basse électrique. «Au lycée, je faisais la chorale et je me suis rendu compte que je pouvais chanter», se souvient-il.

Poésie. Vers 20 ans, il quitte le groupe de son adolescence et se met à jouer seul. Un soir dans un club de la grande ville du sud de la Suède, il emprunte la guitare espagnole de son père et se lance dans l’aventure. Bror, également surnommé «Gugges enmanna» - Gugges étant le diminutif de Gunnar et «enmanna» signifiant «un seul homme» - hurle ses paroles, où il mêle poésie et politique, sur des phrasés blues profonds. «J’écoute attentivement les bruits de la vie, dit-il. C’est ce qui m’inspire pour mes sons et mes mélodies.» La Suède a déjà eu des chanteurs de blues dans le passé. Dans les années 70, des duos style Peps och Slim avaient même immortalisé en suédois les plus grands classiques du genre. Gunnar Jansson, lui, ne chante plus dans sa langue maternelle. «En suédois, j’écrivais plus sur moi et je ne me sentais pas à l’aise, explique-t-il. En anglais c’est plus facile. Je mets en scène divers personnages et je raconte leur histoire.»

Ainsi «Butch», le boxeur de Pulp Fiction, un de ses thèmes favoris. William Joseph Dean en est un autre, qui raconte l’histoire d’un meurtrier tiré d’un conte ancien de son village. Un peu comme tous ces acteurs du blues qui ont souvent eu des histoires tragiques, tels Robert Johnson, empoisonné par un mari jaloux, Huddie Ledbetter, condamné pour meurtre, ou Sonny Boy Williamson, assassiné à la sortie d’un concert. Gunnar Jansson confirme : «Charley Patton était constamment en train de se battre, et un jour il a eu la gorge tranchée, mais il n’est pas mort. Il y a aussi Son House, qui a été arrêté pour meurtre… Tous ont eu des vies trépidantes.» Gunnar Jansson également, sillonnant l’Europe en tous sens, même s’il n’a encore jamais mis les pieds aux Etats-Unis. Pour l’instant, il effectue son dernier semestre universitaire en musicologie (artistic bachelor degree), et sait que dans peu de temps, il lui faudra choisir entre travailler ou continuer à jouer. Mais en attendant de prendre une décision, il est surtout penché sur son nouvel album : Moan Snake Moan.

Une création presque sous le manteau, légèrement différente de son manifeste, avec un son plus ample, plus moderne. C’est Christoffer Johansson, ingénieur du son suédois vivant en Allemagne, qui en est encore le maître d’œuvre (il avait déjà produit le premier album chez Greatest Records en 2012). «Entièrement enregistré live ! Nous avions sorti cent 33-tours, ensuite j’ai gravé les CD [environ 300, ndlr]», rappelle Gunnar Jansson. Le prochain disque devrait être produit à 500 exemplaires, avec plus d’instruments et de collaborateurs (dont le groupe Det Blev Handgemäng, «il y a eu une bagarre.»).



Aussi doux quand il parle qu’animal quand il chante, ce gentleman-bluesman devient esclave de lui-même en quelques secondes, juste à l’écoute d’un simple boogie. «J’ai l’amour de la musique. Je pense musique. Je vis musique !» Envoûtant.

ère lui, un décor style triptyque avec un papier peint pouvant dater des années 50. A chaque fois, Bror («frère» en suédois) Gunnar Jansson s’entoure de son petit monde qu’il trimballe partout. Au rythme d’un swamp des plus crus, il gueule ses paroles sur une mélodie qui vous replonge les deux pieds dans les champs de coton.

Dino DI MEO

Bror Gunnar Jansson CD: Moan snake moan (Normandeep Blues Records)

 Une interview est lisible sur le site indie music http://www.indiemusic.fr/2014/02/16/bror-gunnar-jansson-interview/


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