Mélissa Laveaux |
La Canadienne d’origine haïtienne sort «Radyo Siwèl», un militant retour aux sources sur l’île de ses ancêtres.
Jacques Denis, Libération, le 12 février 2018
Trois disques en dix ans. Le moins qu’on puisse écrire, c’est que Mélissa Laveaux prend son temps à l’heure où d’aucuns vous incitent à enchaîner les projets. «J’écris sans arrêt, mais le hasard veut que je sorte un album tous les cinq ans. Le chiffre 5, dans le tarot, c’est le conflit ! Et c’est vrai que je finalise malgré tout dans le chaos.» Adepte de la numérologie, «un exercice très méditatif», la native de Montréal aux origines haïtiennes, installée à Paris depuis 2008, est donc de retour après deux premiers disques qui lui ont permis de fidéliser une audience conquise par sa soul folk, une voix aussi singulière que son jeu de guitare, un style aussi particulier que ses influences sont multiples. D’Erykah Badu à Joni Mitchell, sans oublier Martha Jean-Claude, chanteuse haïtienne dont les comptines mariant espagnol et créole ont bercé son enfance… En 2008, au moment de la parution de l’initial Camphor & Copper, elle confiait d’ailleurs son désir de retourner sur l’île où grandirent ses parents. «La dernière fois, c’était en 1997. J’avais 12 ans, et c’est en rentrant que mon père m’a donné une guitare.»
Sillon
Dix-neuf ans plus tard, elle y est donc retournée, seule comme une grande. Mais avec en bandoulière une nouvelle six-cordes, «une demi-caisse Hagstrom, avec une excellente réverb». Sur place, sa visite au Fokal, bibliothèque Monique-Calixte, un centre de recherches et d’archives à Port-au-Prince autogéré par des femmes, va lui indiquer le sillon à creuser. «Parmi les nombreux disques et livres que j’ai consultés, j’ai découvert les cahiers de Karine Magron, où il y avait des chants anonymes mais aussi certains signés d’artistes connus comme Frantz Casseus.» Ce sera la base du répertoire de cette nouvelle aventure discographique, que la résidente de Ménilmontant va prendre le soin de roder sur scène. Une fois au point, la guitariste-chanteuse s’est donc rendue en studio, une semaine dans l’antre des A.L.B.E.R.T., le trio français (basse, batterie, claviers) incontournable du moment qui s’est chargé de réaliser ses vœux en une collection de chansons créolisées à souhait.
Vaudou
«Nous avons enregistré en live, indique-t-elle, et fait les arrangements en direct, afin de garder la fraîcheur. Vincent Taurelle, qui était aux manettes, a tendance à ne pas gommer les petites erreurs, les trucs obliques que j’aime faire.» Tout ce qui fait le grain de ce Radio Siwèl, allusion aux troubadours haïtiens dont elle avoue s’être inspirée pour en transposer l’écriture et l’esprit dans le champ de l’actualité. Cet alliage lui permet d’accoucher d’un disque de soul pop haute couture, constamment relevée par les accents toniques de Mélissa Laveaux, mais aussi des cordes subtiles du Canado-Trinidadien Drew Gonzalez, fondateur de Kobo Town et ami de plus de vingt ans. A l’image de Simalo, thème du répertoire vaudou qu’elle transfigure, ou de Jolibwa, la seule chanson qu’elle a écrite, du nom d’un résistant à l’envahisseur américain, dans les années 20. Un titre emblématique du fil thématique - les relations avec les Etats-Unis - qu’elle déroule jusque sur Facebook, où elle a posté un message musical destiné à l’inénarrable Trump. A partir d’une chanson du Haïtien Auguste Linstant de Pradines, elle a ajouté quelques bons mots. «Cesse de parler de Haïti/ T’es un voleur/Rends l’argent/ Personne n’est illégal.
A propos de Mélissa Lavaeaux lire aussi: Mélissa Laveaux, porte-voix des rebelles d’Haïti (Libération)
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