En tournée en France, la chanteuse et violoncelliste américano-haïtienne présente une musique qui parle au cœur, mêlant compositions originales et chansons traditionnelles.
Née à New York de parents d’origine haïtienne, vivant à La Nouvelle-Orléans après une enfance dans le New Jersey, Leyla McCalla semble avoir puisé son inspiration dans toute l’âme des Amériques. Elle chante d’une voix pure, puissante et sensible, en anglais, français cajun et créole haïtien dans son deuxième album (1), qu’elle présente en concert mardi19 juillet à Bordeaux, puis dans plusieurs villes de France (2), A Day for the Hunter, a Day for the Prey (« Un jour pour le chasseur, un jour pour la proie »).
Inspirée par la Nouvelle-Orléans
« Ce titre m’est venu à la lecture d’un livre de Gage Averill du même nom, lui-même tiré d’un proverbe haïtien qui fait référence aux nombreux liens entre la politique, la musique et le pouvoir en Haïti au XXe siècle », explique la jeune femme de 30 ans. Le travail de l’ethnomusicologue, évoquant l’arrivée des réfugiés haïtiens aux États-Unis, trouve un fort écho en Leyla McCalla, dont les parents ont immigré. « J’ai essayé de comprendre comment on en arrive à prendre une décision aussi difficile, et de comprendre comment l’absence de choix peut infléchir l’orientation de toute une vie. »La Louisiane, où vit désormais la jeune artiste et où elle a enregistré son album, la rapproche d’Haïti et de ses racines par « sa musique traditionnelle, ses mélodies anciennes, et sa forte tradition orale », ainsi que par son français cajun coloré, proche du créole d’Haïti. La Nouvelle-Orléans irrigue par ses nombreux talents musicaux et ses instruments traditionnels l’inspiration de Leyla McCalla, révélée dans son premier album, Vari-Colored Songs (« chansons aux multiples couleurs »).
Incarnation parfaite du label « Musique du monde »
Splendide mélange d’influences folk et jazz, blues et bayou, sa musique parle au cœur. Elle puise dans la vie quotidienne, où « les plats sont tous mis sur la table », chanson enlevée et joyeuse, sans jamais oublier de lever les yeux vers les petits moineaux, « Little Sparrow ». Solaire et festive, surtout dans les chansons folkloriques, elle sait faire résonner aussi bien les banjos que les guitares électriques, le sousaphone (cuivre), le cornet et l’accordéon, méritant à plus d’un titre qu’on la range sous le label « Musiques du monde ».La voix cristalline et ample de Leyla McCalla, l’harmonie d’une réunion de musiciens impeccables – Leyla McCalla joue aussi du violoncelle, du banjo et à la guitare, avec Aurora Nealand à la clarinette, Daniel Tremblay au banjo ténor et à la guitare, Marc Ribot à la guitare électrique, Free Feral à l’alto, Jason Jurzak à la basse, Louis Michot au fiddle… –, la profondeur inspirée de chansons comme Far from your Web, confrontée à l’apparente simplicité des chants traditionnels, tout concourt à faire de son album une réussite éclatante.
Nathalie Lacube, La Croix, le 19/07/2016
Leyla McCalla - "Manman Mwen"
Leyla McCalla : “Il est important de chanter l’exode et les réfugiés”
La violoncelliste et chanteuse américaine Leyla McCalla sort A Day For The Hunter, A Day for The Prey, un album engagé où chansons traditionnelles créoles se mêlent au blues de La Nouvelle-Orléans. De passage à Paris, elle a chanté pour Courrier international, partenaire de la sortie du disque. Elle a aussi évoqué ses origines, ses sources d’inspiration et sa vision des migrations actuelles en tant que descendante de réfugiés haïtiens.
Comment vous est venue l’idée d’enregistrer un album qui fasse la part belle à la chanson populaire traditionnelle haïtienne ?
Leyla McCalla A l’origine de l’album, il y a l’ouvrage A Day for the Hunter, A Day for the Prey (“Un jour pour le chasseur, un jour pour la proie”) de l’ethnomusicologue Gage Averill*. Nommé d’après un proverbe haïtien, son essai m’a inspiré le titre du single et de l’album. Il traite des liens entre musique, politique et pouvoir en Haïti au XXe siècle. Il évoque notamment une tradition musicale séculaire de chansons populaires qui a été ravivée par la crise des boat people dans les années 1990, quand les Haïtiens fuyaient l’île par la mer vers les Etats-Unis.
Découvrir cette histoire a été un moment particulièrement poignant pour moi qui suis descendante de réfugiés. Ces destins sont tragiques : tant de gens n’ont pas survécu à la traversée, alors qu’il y avait dans tous ces départs la promesse d’une vie nouvelle, une vie dans de meilleures conditions, loin de la pauvreté. Ce proverbe, “A day for the hunter, a day for the prey” est un appel à la tolérance, qui résonne particulièrement aujourd’hui.
Les importants mouvements migratoires que connaît le monde actuellement donnent-ils un écho particulier à vos chansons ?
Il est très important de chanter sur l’exode et les réfugiés en ce moment. Mais il est plus important encore de mélanger les cultures. Les gens migrent depuis toujours. Partout sur le globe, les hommes se déplacent. Il n’y a rien de nouveau dans le fait que nos identités, nos frontières évoluent. De tout temps, nous nous sommes adaptés à de nouvelles cultures, nous avons mêlé nos façons de vivre.
C’est une lutte commune au genre humain depuis longtemps.
Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un moment où les mots ne suffisent plus. Nous devons transformer nos idéaux de pensées en actes : si nous croyons vraiment aux valeurs de liberté et d’unité, souvent prônées dans le vide, alors nos lois, nos façons de vivre et de traiter l’autre devraient refléter ces idéaux.
Bien des problèmes qui existent aujourd’hui sont une conséquence directe de l’Histoire… Qu’elles évoquent des situations fictives ou réelles, les chansons traditionnelles racontent des histoires, des situations déjà traversées par d’autres qui doivent nous servir de modèles. Il est important de prendre le temps de penser à ces destins et à ces situations passées qui disent beaucoup du monde actuel. Je suis heureuse si mes chansons ou celles que je fais connaître peuvent y contribuer.
Pourquoi avoir décidé de mêler la douceur des balades haïtiennes aux rythmes de La Nouvelle-Orléans ?
Je suis née à New York, dans le Queens. Mais, en 2010, j’ai choisi de déménager à La Nouvelle-Orléans. Etrangement, j’y ai découvert une partie de moi. En arrivant, je me suis intéressée à l’histoire de la région et le passé de la Louisiane m’a renvoyée à mon héritage haïtien. J’ai grandi avec une identité haïtienne américaine très forte, mais en réalité j’ignorais ce qui me rendait haïtienne et ce qui faisait de moi une Américaine.
J’ai découvert les nombreux points communs qui relient le folklore haïtien à celui de La Nouvelle-Orléans – tous les deux présents sur l’album. Les deux traitent de sujets tragiques : l’incertitude et la lutte quotidienne reviennent souvent dans les chants de ces lieux qui ont tous les deux été frappés par la tragédie. Mais il y a aussi beaucoup de lumière, de danse, de joie dans ces cultures… En Haïti comme en Louisiane, on danse, on pleure et on rit en même temps, autant dans les chansons que dans la vie de tous les jours.
* Gage Averill A Day For The Hunter, A Day For The Prey. Popular Music And Power in Haiti. University of Chicago Press, 1997 (non traduit en français).
Laura Geisswiller, Courrier international, le 3 juin 2016
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