Bernard Lavilliers |
Bernard Lavilliers revient avec une création aux Francofolies, où il revisite son album Pouvoirs, sorti en 1979. Rencontre avec un chanteur engagé pour qui la politique reste une source d’inspiration permanente.
Comment est née l’idée d’une création autour de votre album Pouvoirs ?
Bernard Lavilliers Cet album qui est sorti en 1979, j’ai dû le chanter sur une seule tournée, 50-60 fois. Après, quand je suis revenu de Jamaïque et du Brésil avec O Gringo, je ne chantais plus ça. Reprendre ces chansons, en ce moment, c’est salvateur. Tous les artistes ont un œil critique sur la politique et sont plus ou moins investis. Les compositions de Pouvoirs, c’est Pascal Arroyo et François Bréant. Tous les trois, on était très soudés, on prenait des risques incroyables. Cet album ne passait pas en radio à l’époque. D’ailleurs, on ne me voyait jamais ni en télé, ni en radio. Dès que j’ai fait Stand the Ghetto (1980) ou Trafic, les programmateurs se sont jetés dessus, car ils savaient que je faisais 5 à 10 000 personnes par concert. Ils ont pris le train en marche ! Soyons honnêtes, il y a des journalistes de la presse écrite – l’Humanité, Charlie Hebdo, les journaux de province – qui écrivaient sur moi, mais dans les radios, je ne passais pas, à part Fip qui diffusait San Salvador.
Comment expliquez-vous que des chansons écrites il y a plus de trente ans soient en résonance avec notre époque ?
Bernard Lavilliers On y trouve le thème de la peur, qui depuis le début est le chantage du pouvoir. La peur de perdre son travail, la peur du terrorisme, le chômage qui est une peur terrible. Le premier chantage, c’est celui-là. Je le dis dans les Mains d’or, un homme ou une femme doit avoir un toit, et un travail qui le (la) nourrit ainsi que ses enfants. On est dans une société à deux ou trois vitesses. La lutte des classes existe toujours. On le voit avec la loi travail, il y a un ras-le-bol qui s’exprime. Ce sont des gens de gauche qui sont au gouvernement et ils font passer des trucs que même Sarkozy n’aurait pas osé faire !
Quels sont les « pouvoirs » d’aujourd’hui ?
Bernard Lavilliers Ce n’est plus les hommes politiques en tout cas. Avec la mondialisation, le pouvoir est devenu trivial. Les groupes comme Google et autres ne se cachent plus. Il y a eu une transformation thématique avec l’arrivée d’Internet, qui a changé beaucoup de choses. Les patrons sont ceux qui tiennent tout ça. Ils sont en train d’envahir la démocratie.
On vous sent toujours autant inspiré par la chose politique…
Bernard Lavilliers Elle m’intéresse toujours et ça ne m’empêche pas d’écrire de la poésie en même temps. Avec mon père, qui est mort il y a presque un an, on parlait tout le temps politique. Je suis né là-dedans ! Le syndicalisme, le Parti communiste, tout cela m’inspire. J’ai fait plein de chansons d’amour, d’aventures, mais j’aime aussi écrire des chansons politiques comme Troisièmes Couteaux. Une chanson où je tourne les choses sur le mode de la dérision, de l’ironie, du pamphlet parfois. C’est indispensable d’avoir ce genre de point de vue.
Qu’avez-vous imaginé pour la première du spectacle aux Francofolies ?
Bernard Lavilliers On sera quatre sur scène. Ce sera sobre. Je me rappelle d’un spectacle d’Yves Montand où on voyait sa silhouette en noir et blanc se détacher en fond de scène grâce à une projection de son ombre. On a rarement fait ça depuis. On ne pourra peut-être pas le faire à La Rochelle, mais je pense à ce style d’éclairage. On va essayer de recréer ce genre d’ambiance.
Où en êtes-vous de votre prochain album ?
Bernard Lavilliers Je l’ai presque fini. Il manque deux chansons. Il sortira début 2017. Je viens aussi d’enregistrer la Loi du marché, une très belle chanson de Cyril Mokaeish qu’on interprète en duo dans son prochain album. On va la chanter tous les deux le 7 octobre à Pleyel pour la dernière de Pouvoirs (1). Elle parle du système politique actuel, de l’Europe : « On vous laisse libéral démocratiser / Chômage à volonté / On vous laisse nos destins s’ouvrir les veines en Commission européenne. » Et j’ai récemment enregistré une chanson, Je te dois tout, pour l’album Frère Animal, le projet de Florent Marchet et d’Arnaud Cathrine. C’est l’histoire d’un jeune homme qui ne trouve pas de boulot, galère et devient frontiste. Je joue le père qui lui fait une analyse politique et dit : « Ce n’est pas possible » et le vire de chez lui.
la chanson prend le pouvoir
Pour la création de Pouvoirs, Bernard Lavilliers chantera les titres emblématiques de son disque paru il y a trente-sept ans dont Frère de la côte, Sœur de la zone, Frères humains synthétisés, Urubus, la Peur, Bats-toi, la Promenade des Anglais, Funkin’ Life... Un registre politique auquel se joindront Troisièmes Couteaux, Noir et Blanc, l’Exilé, État des lieux, les Mains d’or, Traffic et Est-ce ainsi que les hommes vivent ? d’Aragon/Ferré. Réédité le 16 septembre, Pouvoirs comprendra plusieurs reprises de chansons de l’album par des artistes de la scène actuelle, dont Feu ! Chatterton, Jeanne Cherhal, Fishbach ou encore Benjamin Biolay.Entretien réalisé par Victor Hache L'Humanité du 15 Juillet, 2016
(1) Création Pouvoirs, le 15 juillet, au Grand Théâtre de la Coursive et tournée du 22 septembre au 7 octobre à Paris, salle Pleyel.
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