Photo : Franck Socha |
Fara C. L'Humanité, le 24 juillet 2015
Violoniste, chanteuse, auteure et compositrice, Yilian Canizares incarne à merveille la grande école musicale de Cuba, dans le sillage du pianiste Roberto Fonseca, avec lequel elle rendra hommage à Ibrahim Ferrer lors de Jazz in Marciac, le 3 août, afin de commémorer les dix ans de la mort du chanteur. Auparavant, le 24 juillet, au Marseille Jazz des 5 Continents, elle aura assuré la première partie du légendaire tandem brésilien Gilberto Gil/Caetano Veloso, à l’occasion d’une soirée qui promet autant de jubilation que de frissons. La belle Havanaise, désormais établie en Europe, a récemment embrasé le 39e Festival de la Côte d’Opale – qui s’est avéré être un des meilleurs crus depuis ses débuts. Le public ne s’y est pas trompé, qui l’a rappelée avec ferveur.
« Citoyenne du monde »
Dans son deuxième album, Invocacion, paru chez Naïve à l’instar du précédent (Ochumare) et qu’elle présente en tournée, elle honore ses ancêtres, tout en gardant grande ouverte son attention à l’autre, à la différence. Se fusionnent intimement, sous ses doigts et sur ses lèvres, des rythmes traditionnels de son île, des harmonies jazz et une audacieuse modernité. « Très fière d’être cubaine, je me sens citoyenne du monde, dans le sens où je suis concernée par le sort de toute l’humanité, nous confie-t-elle. Mon prochain concert aura lieu au Marseille Jazz des 5 Continents, festival dont j’aime le nom pour l’universalité qu’il exprime. J’ai eu la joie de jouer en prélude du festival, en 2013. Cette fois, j’ouvrirai la soirée, avant les deux icônes de la musique populaire brésilienne, Gilberto Gil et Caetano Veloso. Un privilège, pour moi. Ces deux artistes n’ont cessé de s’engager pour soutenir leur peuple et affirmer leur vision du monde, au point d’endurer la prison et l’exil. »
Repérée pour ses dons exceptionnels, celle qui a commencé violon et piano dès ses 7 ans a remporté en 2008 le concours du Montreux Jazz Festival. Il est saisissant de la voir chanter en même temps qu’elle extrait de son violon des notes magiques, comme Esperanza Spalding l’a fait avant elle, en chantant et jouant de la contrebasse. « Je me suis rendu compte que ce n’est pas facile, pour les femmes, de s’imposer comme instrumentistes. Il leur est en général demandé de chanter, un point, c’est tout. » Marseille Jazz des 5 Continents fait partie des festivals en avance sur ce terrain, en accordant une belle place aux instrumentistes féminines. La saxophoniste Lisa Cat-Berro a enchanté la terrasse, archipleine, du Mucem. La pianiste japonaise Hiromi, qui avait déjà fait un tabac en 2013, a récidivé avec autant de fougue. Quant à Anne Paceo, dont la batterie fait rythme de tout bois, elle a ensorcelé le nombreux auditoire et les arbres centenaires des jardins de Longchamp.
« En tant que femme, je me nourris de la force de mon aïeule, Mapucha, à laquelle j’ai dédié un titre de mon disque, explique Yilian Canizares. Née esclave, elle est morte en femme libre. C’est la première femme de ma famille dont nous savons qu’elle a été libre. Cela me touche et m’encourage. » Nul doute, la lumineuse Yilian cultive une vitalité, une inventivité, dignes de ses ancêtres qui résistèrent à l’esclavage.
Fara C L'Humanité du 24 juillet 2015
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