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mercredi 2 septembre 2015
Archie Shepp, la conscience noire (La Libre Belgique)
Vendredi soir, dans le parc du château Den Brandt où se déroule le festival Jazz Middelheim, le musicien américain Archie Shepp se présente avec son Attica Blues Big Band. Le nom et le répertoire de la grande formation font référence à l’album de Shepp "Attica Blues", paru en 1972 chez Impulse!. Dates et noms sont importants. Le disque est rapidement devenu un classique, et l’on aurait aimé qu’il soit considéré comme tel, sans que son propos trouve d’échos dans l’actualité.
Son propos ? En 1971, l’activiste noir, militant des Black Panthers, George Jackson est abattu lors d’une prétendue tentative d’évasion de la prison d’Etat de Californie, San Quentin. En réaction, de l’autre côté des Etats-Unis, des émeutes éclatent au pénitencier d’Attica, dans l’Etat de New York. Le 13 septembre 1971, l’assaut de la Garde nationale fait 38 victimes.
Un an plus tard paraît "Attica Blues". Essentiellement saxophoniste ténor, mais aussi chanteur, pianiste, acteur, metteur en scène, poète, peintre, Archie Shepp n’en est pas à son coup d’essai. Né le 24 mai 1937 à Fort Lauderdale en Floride, il a déjà un avant-goût de la ségrégation au quotidien. Il grandit à Philadelphie avant de rejoindre New York où, au cœur des années cinquante, pousse le free jazz, où les musiciens envoient harmonies de base, mélodie et rythme voler par-dessus bord.
Ce mouvement coïncide bien sûr avec l’état d’esprit de l’époque en Occident, mais il se veut surtout l’expression de la rébellion des Afro-Américains dans le cadre de leur lutte pour les droits civiques. Le jeune Archie Shepp embarque dans le mouvement notamment avec le pianiste Cecil Taylor, puis avec le trompettiste Don Cherry et le saxophoniste John Tchicai au sein du New York Contemporary Five. Mais son idole est John Coltrane, qui n’arrivera au free que tardivement, non comme une rupture mais comme évolution ultime d’un parcours mystique. Engagé sur l’étiquette Impulse! grâce à Coltrane, Shepp s’empresse d’enregistrer le magnifique hommage "Four for Trane" (1964).
Dans les années septante, l’art d’Archie Shepp a évolué vers le rhythm’n’blues, le blues, avant de revenir au bebop, aux ballades et enfin au gospel de son enfance ("Goin’ Home", duo avec le pianiste Horace Parlan, 1977). Il suit alors la courbe rentrante de la musique, qui a atteint l’extrémité avec le free : "Rien de radicalement nouveau ne s’est fait depuis la mort de Coltrane", dit-il en 2014.
Mais jamais Archie Shepp n’a fondamentalement dissocié son travail artistique de la réalité sociale. Dans ses albums pour Impulse!, il inclut des poèmes et des citations de James Baldwin ou de Malcolm X. C’est dans ce cadre-là qu’il faut entendre "Attica Blues", implacable réquisitoire musical contre la discrimination raciale. Jamais apaisé, il monte, en 1979, l’Attica Blues Big Band qui ravive magistralement le répertoire.
La renaissance, en Europe, d’un Attica Blues Big Band en 2012 n’aurait dû être que la célébration des quarante ans de l’œuvre originale, en même temps qu’un appel à la vigilance. Mais pour Archie Shepp, rien n’a changé, la situation dans les prisons s’est même aggravée. Et la mort, sans cesse répétée, de jeunes Noirs abattus par des policiers blancs aux Etats-Unis résonne comme un assourdissant et insupportable écho.
Dominique Simonet, La Libre Belgique le 12 août 2015
Note du Webmestre: vous pouvez aussi lire cette interview d'Archie Shepp: Archie Shepp, le blues sublimé et le cri de rébellion
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