Buena Vista Social Club fait ses adieux. A la France, au monde. De passage au festival des Suds à Arles, jeudi 16 juillet, après une ultime reprise de son répertoire devant un théâtre antique plein jusqu’au ciel, l’orchestre le plus célèbredela musique cubaine a quitté la scène, au-delà de minuit.
Omara Portuondo, la première.
Rapidement. Dans la limite de ce que lui permettent ses capacités d’octogénaire (elle est née à La Havane, en 1930). Non sans avoir un peu bousculé l’ordonnancement des choses. Omara Portuondo est une star. Elle peut s’autoriser cela. C’est une diva coquette, joyeuse, toujours l’œil vif et le sourire charmeur, mais fatiguée. On la ménage.
Elle devait chanter trois titres, Lagrimas negras, No me llores et Quizas quizas quizas, un boléro composé par le Cubain Osvaldo Farrés, en 1947 parmi les plus repris et adaptés, de Nat King Cole à Celia Cruz, en passant par Luis Mariano et Guy Marchand. Elle s’est fait le plaisir d’un rappel, Dos Gardenias, un autre de ses favoris, en duo avec le très convaincant Carlos Calunga, puis elle est partie. Le lendemain il faudra prendre la route très tôt pour la Finlande. Après l’escale aux Suds à Arles, qui pour ses 20 ans s’est offert ce « big band » cubain au succès phénoménal (près de 9millions d’albums vendus,un record dans le champ des musiques du monde), il reste encore 28 dates pour cette tournée d’adieu. Elle s’achèvera en novembre au Beacon Theatre à New York.
Les disparus défilent en images Depuis le début de l’histoire, en 1996 (par coïncidence, l’année de la création du festival arlésien), l’enregistrement à Cuba d’un album rassemblant des musiciens cubains oubliés autour du guitariste américain Ry Cooder, pour la maison de disques britannique World Circuit, les rangs de cette heureuse famille se sont sérieusement éclaircis. Les chanteurs Manuel « Puntillita Licea », Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, Pio Leyva, le pianiste Ruben Gonzalez, le contrebassiste Orlando « Cachaito » Lopez, le guitariste Manuel Galban sont partis.
Certains défilent en images sur un écran, en fond de scène. Pour les rescapés, renforcés par de nouvelles recrues dans cet ultime tour de piste, finir à New York, c’est un symbole fort. Car New York restera un de leurs plus beaux souvenirs. Le 1er juillet 1998, ils y jouaient sur la scène du Carnegie Hall. Un signe prémonitoire qui annonçait déjà peut-être l’érosion de l’embargo contre Cuba (les musiciens cubains étaient persona non grataaux E.-U.). Pour les protagonistes de Buena Vista, rassemblés par Juan de Marcos Gonzalez, le musicien recruteur dont on a souvent oublié de souligner le rôle déterminant dans la qualité du casting, ce fut surtout un rêve un peu fou.
L’Amérique ! Dans le film (sorti en 1999) que le réalisateur allemand Wim Wenders a consacré au groupe cubain, l’épisode Carnegie Hall reste l’un des moments forts.
« Beaucoup d’entre nous ont pleuré cette nuit-là », commentera Omara Portuondo lors de la sortie du double album, en 2008, de l’enregistrement de ce concert (At Carnegie Hall, World Circuit) Derrière la scène, à Arles, le guitariste et autre chanteur vedette de la bande, Eliades Ochoa, commente sans affect ni nostalgie cette ultime tournée, évoquant la mémoire des disparus, « toujours présents avec nous, ceux grâce à qui le public sait ce qu’est la musique cubaine. Buena Vista c’était une famille. On passait du temps à chanter et se marrer. Ce n’est pas notre décision à nous, musiciens, d’arrêter, poursuit Ochoa, c’est ceux qui sont à l’initiative du projet qui le souhaitent. Mais bon, après avoir bien fait son travail, faut tourner la page, prendre sa retraite sans tristesse, avec joie. »
Patrick Labesse Le Monde du 19 juillet 2015
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