Le guitariste espagnol Paco de
Lucia, de son vrai nom Francisco Sanchez Gomez, est décédé d'une
crise cardiaque au Mexique à l'âge de 66 ans, a annoncé mercredi
la mairie d'Algeciras, sa ville natale du sud de l'Espagne, qui
rendait hommage à "la plus grande figure qu'ait connu le monde
de la guitare".
La disparition du guitariste virtuose représente "une perte irréparable pour le monde de la culture, pour l'Andalousie", a déclaré le maire d'Algeciras, José Ignacio Landaluce. "La mort de Paco de Lucia transforme le génie en légende. Son héritage restera pour toujours, de même que la tendresse qu'il a toujours épouvée pour sa terre", ajouté le maire dans un communiqué. "Bien qu'il nous ait quittés, sa musique, sa manière géniale d'interpréter, son caractère, resteront toujours parmi nous", a ajouté le maire alors que la ville, qui a décrété un deuil officiel de trois jours, s'apprêtait à rendre un hommage ému au guitariste.
Paco de Lucia, de son vrai nom Francisco Sanchez Gomez, était né le 21 décembre 1947 dans cette ville de la région de Cadix.,
Ce payo (non-Gitan) définissait le
flamenco comme un mélange de cultures arabe, juive et gitane mûri
dans les rues d'Andalousie.
Paco de Lucia avait commencé sa carrière
à l'âge de 14 ans, engagé comme guitariste pour la compagnie
de danse José Greco. En tournée aux États-Unis, il croisa Mario
Escudero et Sabicas, deux guitaristes espagnols de renommée qui
l'encouragèrent à mener une carrière de soliste. Il enregistra son
premier disque en 1965 et donna un concert au Teatro Real de Madrid.
En 1975, année charnière en Espagne qui revenait à la démocratie,
Paco de Lucía connut un grand succès commercial avec une rumba,
Entre dos Aguas.
Paco de Lucía avait formé un couple
extraordinaire avec le chanteur Camarón de la Isla, né dans la
province de Cadix et qu'il avait rencontré à Madrid, en 1968,
alors qu'il était artiste résident à la « Torres Bermejas
Tablao ». Il y restera douze ans. Ensemble, ils enregistrent
neuf disques, de 1969 à 1977, avant que Paco de Lucía
cède sa place à l'un de ses étudiants, Tomatito.
Il fonda un groupe avec ses frères, le
chanteur Pepe de Lucía et le guitariste Ramón de Algeciras, et
introduit des instruments et des rythmiques sud-américaines — avec
un cajon péruvien. Deux albums confirment le succès et
l'originalité du groupe : Solo quiero caminar (1981) et Live… One
Summer Night (1984).
Parallèlement à son association avec
Al Di Meola et John McLaughlin, Paco de Lucía mélange le flamenco
avec la musique indienne, la salsa, la bossa-nova, la musique arabe.
Il adapta ainsi plusieurs thèmes du compositeur espagnol Manuel de
Falla et, quelques années plus tard, il enregistra l'œuvre majeure
de Joaquín Rodrigo, le Concerto d'Aranjuez.
Il entraîna un genre populaire, le flamenco, vers la musique dite « érudite ». En 2004, il avait reçu le prix Prince des Asturies des Arts, l'une des plus hautes distinctions espagnoles. "Considéré comme le plus universel des artistes flamenco, son style a fait école parmi les plus jeunes générations et son art est devenu un des meilleurs ambassadeurs de la culture espagnole à travers le monde", avait souligné le jury. Paco de Lucia, soulignait la Fondation Prince des Asturies, "a dépassé les frontières et les styles pour devenir un musicien de dimension universelle. A partir de la guitare flamenco, il a aussi exploré le répertoire classique espagnol, d'Isaac Albeniz à Manuel de Falla, l'émotion de la bossa nova et du jazz"."Tout ce qui peut s'exprimer avec les six cordes de la guitare est entre ses mains", ajoutait le jury.
S'il avait soif de collaborations avec
des musiciens issus d'horizons très variés, Paco de Lucia n'avait
jamais perdu sa profonde identité de guitariste flamenco. Rien n'est
plus simple que de jouer virtuose et hystérique, Paco de Lucía
était tout le contraire : la douceur des violences. Les caresses
animées sur les cordes. Il était comme le vin de Sanlúcar et
respirait le parfum du Guadalquivir. Chaque rythme était pris avec
le même sens du frôlement, comme des vagues, comme des brises
Extrait d'un article paru dans le Figaro
Après avoir appris le décès brutal
du guitariste flamenco Paco de Lucia, de nombreux artistes se sont
émus de sa disparition. Le Figaro a recueilli les témoignages de
deux illustres figures de la guitare: le maître Pedro Soler et le
jeune guitariste classique Milos Karadaglic.
MILOS KARADAGLIC. - «J'ai appris sa mort ce matin avec consternation. Paco de Lucia fut selon moi le premier guitariste à porter le flamenco sur le devant de la scène, en dehors des salles de danse. Il a prouvé que la guitare flamenca avait sa propre voix. Une voix de soliste. Il a, en ce sens, a changé à jamais notre regard sur l'instrument. Je lui dois d'ailleurs une grande partie de ma vocation: au Monténégro où j'ai vécu, avec presque aucun accès à la musique, Lucia était le seul guitariste qui se frayait occasionnellement un chemin à la télévision. Et c'est en le voyant que je me suis dit qu'on pouvait faire une carrière de guitariste soliste.
» Son enregistrement du Concerto d'Aranjuez de Rodrigo est l'un de mes préférés. On est évidemment loin du style propre à la guitare classique, mais il a, pour moi, su capturer l'âme d'Aranjuez, en replongeant l'œuvre dans ses racines flamencas. Son jeu était comme ça, d'ailleurs: un mélange de technique extraordinaire et de passion.
» Il fut aussi de ceux qui vous montrent la voie en vous prouvant qu'il est toujours possible de passer les frontières, comme il le fit en faisant dialoguer le flamenco avec le jazz ou le rock. C'est un modèle pour nous tous guitaristes et un père dont l'œuvre nous rappelle à jamais que la guitare n'est qu'une seule et même grande famille… Et un instrument aussi beau que populaire.»
MILOS KARADAGLIC. - «J'ai appris sa mort ce matin avec consternation. Paco de Lucia fut selon moi le premier guitariste à porter le flamenco sur le devant de la scène, en dehors des salles de danse. Il a prouvé que la guitare flamenca avait sa propre voix. Une voix de soliste. Il a, en ce sens, a changé à jamais notre regard sur l'instrument. Je lui dois d'ailleurs une grande partie de ma vocation: au Monténégro où j'ai vécu, avec presque aucun accès à la musique, Lucia était le seul guitariste qui se frayait occasionnellement un chemin à la télévision. Et c'est en le voyant que je me suis dit qu'on pouvait faire une carrière de guitariste soliste.
» Son enregistrement du Concerto d'Aranjuez de Rodrigo est l'un de mes préférés. On est évidemment loin du style propre à la guitare classique, mais il a, pour moi, su capturer l'âme d'Aranjuez, en replongeant l'œuvre dans ses racines flamencas. Son jeu était comme ça, d'ailleurs: un mélange de technique extraordinaire et de passion.
» Il fut aussi de ceux qui vous montrent la voie en vous prouvant qu'il est toujours possible de passer les frontières, comme il le fit en faisant dialoguer le flamenco avec le jazz ou le rock. C'est un modèle pour nous tous guitaristes et un père dont l'œuvre nous rappelle à jamais que la guitare n'est qu'une seule et même grande famille… Et un instrument aussi beau que populaire.»
PEDRO SOLER. - «Étrangement, pour le grand
public, le nom de Paco de Lucia reste indissociable du trio qu'il
forma avec John McLaughlin et Al Di Meola pour la tournée Friday
Night. Mais Lucia c'était infiniment plus que cela. Pour moi, Paco
de Lucia aura marqué l'histoire de la guitare flamenca au même
titre que Carlos Montoya, à qui l'on attribue l'invention du
flamenco moderne. Je me rappelle que lorsqu'il a commencé dans le
milieu, ce fut un tel phénomène que, pendant certains concerts de
flamenco, lorsqu'un guitariste achevait une ligne particulièrement
virtuose, certains spectateurs criaient ‘‘Paco!'' au lieu de
crier ‘‘Olé!''.
» On se sent donc tous un peu orphelins après son départ… Même moi, qui étais de dix ans son aîné et n'avais pas suivi les mêmes directions. Mais Paco était comme ça: magnétique. D'abord par son jeu, je n'ai jamais entendu une telle perfection et une telle précision dans l'enchaînement des notes, qui témoignait d'une connaissance du flamenco absolument sans faille. Un technicien irréprochable, en somme, mais surtout d'une grande honnêteté vis-à-vis des compositeurs qu'il pouvait aborder. En termes d'apport, je dirais qu'il a aussi considérablement élargi les structures rythmiques traditionnelles du flamenco.
» Car l'autre génie de Paco de Lucia, c'était son sens de l'ouverture. Une ouverture vers d'autres genres, que je ne partageais pas mais qui, il faut le reconnaître, ont fait beaucoup de bien pour la diffusion de la guitare flamenca… À tel point, d'ailleurs, qu'avec lui il n'y avait plus UN flamenco, mais une multitude de déclinaisons modernes, comme le jazz peut recouper une infinité d'acceptions musicales différentes. Nous n'avons jamais travaillé ensemble, mais nous sommes croisés à plusieurs reprises sur des festivals. J'ai même fait la première partie de l'un de ses concerts. Et je dois dire que l'artiste, dans toute son entièreté, était d'ailleurs à l'image de l'homme: multiple. Un homme tendre mais aigre-doux à la fois. D'une grande générosité, mais capable de se montrer dur, y compris envers le public. Et pourtant, je sais qu'il manquera. Sa disparition est comme un grand froid, tombé subitement sur le perpétuel été du flamenco.»
» On se sent donc tous un peu orphelins après son départ… Même moi, qui étais de dix ans son aîné et n'avais pas suivi les mêmes directions. Mais Paco était comme ça: magnétique. D'abord par son jeu, je n'ai jamais entendu une telle perfection et une telle précision dans l'enchaînement des notes, qui témoignait d'une connaissance du flamenco absolument sans faille. Un technicien irréprochable, en somme, mais surtout d'une grande honnêteté vis-à-vis des compositeurs qu'il pouvait aborder. En termes d'apport, je dirais qu'il a aussi considérablement élargi les structures rythmiques traditionnelles du flamenco.
» Car l'autre génie de Paco de Lucia, c'était son sens de l'ouverture. Une ouverture vers d'autres genres, que je ne partageais pas mais qui, il faut le reconnaître, ont fait beaucoup de bien pour la diffusion de la guitare flamenca… À tel point, d'ailleurs, qu'avec lui il n'y avait plus UN flamenco, mais une multitude de déclinaisons modernes, comme le jazz peut recouper une infinité d'acceptions musicales différentes. Nous n'avons jamais travaillé ensemble, mais nous sommes croisés à plusieurs reprises sur des festivals. J'ai même fait la première partie de l'un de ses concerts. Et je dois dire que l'artiste, dans toute son entièreté, était d'ailleurs à l'image de l'homme: multiple. Un homme tendre mais aigre-doux à la fois. D'une grande générosité, mais capable de se montrer dur, y compris envers le public. Et pourtant, je sais qu'il manquera. Sa disparition est comme un grand froid, tombé subitement sur le perpétuel été du flamenco.»
Photos prises lors de son concert à la Fiesta des Suds le 15 octobre 2011.
Concerto d'Aranjuez
Entre dos Aguas
Buleria por Solea
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