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mardi 17 avril 2018

Hailu Mergia, retour marquant à la case éthio-jazz

Hailu Mergia chez lui dans le Maryland, en juin 2013. Photo Nikki Kahn.The Washington Post. Getty Images

 
 
Relancé par le regain d’intérêt pour ce genre, le claviériste septuagénaire sort «Lala Belu», où se côtoient thèmes traditionnels et compositions inédites.


 

Par Jacques Denis, Libération, le 26 février 2018




Il y a vingt ans tout juste, Francis Falceto publiait le premier volume de la série Ethiopiques, bientôt suivi d’une vague de rééditions, devenue tsunami lorsque Jim Jarmush choisit en 2005 de placer le parrain de l’éthio-jazz Mulatu Astatke dans la BO de son Broken Flowers. De France comme des Etats-Unis, des groupes sont ainsi nés, s’inspirant de ce qui est désormais considéré comme un style à part entière. Parallèlement, ce phénomène a permis de ressortir des oubliettes de l’histoire des musiciens issus de ce fabuleux creuset que fut Addis-Abeba au tournant des années 70. Ce fut le cas de Hailu Mergia, qui après avoir trouvé refuge aux Etats-Unis en 1981, dut vivoter de la musique, jouant dans les restos et les night-clubs afro, avant de devenir chauffeur de taxi à Washington. Auteur de l’imparable hit Musicawi Silt, le claviériste (et accordéoniste) a été ainsi redécouvert grâce à plusieurs rééditions du label Awesome Tapes From Africa dont l’album Tche Belew, en 2014. Dès lors, il va enchaîner les concerts, aux Etats-Unis mais aussi en Europe, touchant un public plus large que les seuls fondus de cire noire. Joint début 2018 par Skype, une première pour lui, l’homme s’avoue le premier surpris par ce nouvel engouement. Cette résurrection ne serait pas tout à fait complète si, comme bien d’autres avant lui, il n’était pas passé de nouveau par la case studio.

C’est chose faite avec le même label qui le réédita, et préside désormais à ses nouvelles destinées. Certes, le toujours vert septuagénaire n’a jamais vraiment arrêté de jouer, ayant même gravé une autoproduction au début des années 2000, mais Lala Belu peut légitimement être considéré comme le marqueur de son retour en pistes : il en signe la moitié du répertoire, trois titres inédits donc, auxquels il ajoute trois thèmes «traditionnels», dont le totémique Tizita en guise d’introduction, qu’il réarrange à sa manière. Enregistré en trois jours à Londres en 2016, mastérisé à Washington, avec des edits et des ajouts de sa part (synthé, piano acoustique), l’album bénéficie de la présence de la paire australienne, le génial batteur Tony Buck et le contrebassiste Mike Majkowski. Rompus à l’exercice depuis qu’ils l’ont accompagné sur les scènes du monde entier, ces deux-là apportent bien mieux qu’une assise rythmique, digressant volontiers, offrant une variété de tempos qui permettent au maître de céans de s’en donner à cœur joie : solos les deux mains dans le bon vieux groove par-ci par-là, un doigt romantique aussi parfois, quitte à surjouer les clichés. Et surtout des touches plus abstraites, décalées, lorsqu’il enfourche l’accordéon et le mélodica. La complémentarité fonctionne à plein, si bien qu’on peut s’étonner que Hailu Mergia nous apprenne qu’il a changé de partenaires depuis cet enregistrement. A défaut de renouveler le genre, largement balisé en 2018, Lala Belu confirme les qualités de compositeur et d’arrangeur du vétéran, toujours bien vivaces. D’ailleurs, comme il dit avec une joie communicative : «J’ai toujours été attiré par le présent. Vous savez, le passé, c’est déjà fait !»

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